Qui a participé à Anarchy ? Pourquoi ? Avec quel retour sur son expérience ? Qu’est-ce que cela signifie que contribuer à une fiction participative ? Nous avons été à la rencontre des contributeurs, nous avons recueilli les témoignages de quatre joueurs. Les entretiens sont disponibles ici. Cette enquête, partielle, ne nous permet pas d’extrapoler à l’ensemble de participants. Mais elle nous aide à comprendre quels sont les leviers qu’il pourrait être judicieux d’actionner pour proposer une expérience interactive susceptible d’intéresser plus largement le public des téléspectateurs et/ou des internautes.
Qui sont-ils ?
Tristan S., 24 ans, à la recherche d’un emploi
Rémi L., 23 ans, à la recherche d’un emploi
Simon T., 28 ans, créateur de jeux vidéo
Joueur anonyme, 45 ans, à la recherche d’un emploi
La méthodologie
Ces joueurs ont été contactés suite à leur participation sur les pages Twitter et Facebook d’Anarchy. Ils ne constituent qu’un échantillon des participants d’Anarchy et ils partagent plusieurs points communs (ce sont des hommes, jeunes, dotés de beaucoup de temps libre) ; mais ne nous pouvons pas en tirer de conclusion générale, faute d’accès à des données complémentaires précises.
La participation en questions
Qu’est-ce qui amène des gens à s’impliquer dans ce genre d’expérience médiatique ? Probablement la convergence entre un concept innovant et une histoire de qualité qui a su fidéliser les plus curieux. « Vu que la forme était nouvelle, j’étais vraiment intrigué », nous dit le gagnant du jeu, Tristan S. « Le côté transmédia m’a intéressé », explique Rémi L. Anarchy est la première expérience transmédia de ce genre en France et c’est d’abord ce trait d’originalité qui a attiré les joueurs. « J’avais envie de voir, le concept me paraissait à la fois original et drôle », dit Simon T. Pour lui, l’histoire n’était que secondaire, sa motivation était portée par le dispositif transmédia en tant que tel.
A la question « auriez-vous participé si l’histoire avait été différente ? » les réponses sont plus complexes. Ce sont l’originalité et la nouveauté du projet qui ont d’abord attiré les joueurs, mais ce sont le synopsis, la narration et les modalités de participation proposées qui les ont fait rester et s’investir. « C’est le contexte et le scénario qui m’ont attiré, » dit Tristan S. Mais il considère qu’une autre histoire aurait pu l’intéresser tout autant voire davantage. Rémi L. exprime un point de vue très proche : « Je pense qu’il y aurait eu plein d’histoires qui auraient pu me motiver ». Un autre joueur se distingue en insistant sur le fait que c’est l’histoire, et l’histoire uniquement, qui l’a accroché : « J’avoue que le côté politique française m’a séduit au départ, donc pas sûr que j’aurais été emballé par un autre contexte. » Logiquement, Roland R., rédacteur en chef adjoint du projet, se montre sensible à ce type d’argument : « C’est un projet à tonalité politique, économique, il y a eu un véritable « effet », les gens se sont sentis très concernés. » La dimension transmédia couplée à une histoire de qualité semblerait donc être la formule gagnante, et surtout une formule qui pourrait se répéter après Anarchy.
Qui précisément a joué le jeu ? Les données sont chez les concepteurs. Roland R. nous fournit ces quelques chiffres : « Les joueurs très actifs devait être une quinzaine et étaient là plusieurs heures par jour tandis que les joueurs qui ont vraiment évolué dans le jeu et qui venaient plusieurs fois par semaine devaient être 400-500 sur les 2500 inscrits. » Les joueurs seraient venus par des voies variées, ce qui s’explique par une caractéristique du jeu : de nombreux points d’entrée et peu de barrières. Nous avons discuté avec des gens qui ne connaissaient pas du tout le principe d’une expérience transmédiatique tandis que d’autres étaient férus de jeux vidéos ou avait déjà participé à l’expérience américaine Alt Minds en 2012-2013.
Les participants ne seraient pas tous jeunes pour autant. « Nous avions des gens de tous les âges, ce n’était pas du tout une petite communauté de jeunes joueurs uniquement », affirme Roland R. Les participants d’Anarchy, ce seraient avant tout des amoureux de l’écriture, des jeux de rôles ou encore de fervents lecteurs de l’actualité, qu’elle soit politique ou économique. « Cette création de lien social était intergénérationnelle et sur une plateforme web. Il n’y a pas beaucoup de choses qui arrivent à rassembler des gens si différents de nos jours ».
Passer de la curiosité à l’implication
Une fois les joueurs engagés dans le dispositif d’Anarchy, qu’est-ce qui les a incités à prolonger leur implication ? L’influence qu’ils étaient susceptibles d’exercer, que ce soit sur l’univers ou sur les autres joueurs. « L’idée de pouvoir influencer le cours de l’histoire – et l’Histoire – me plaisait beaucoup », dit ainsi un joueur. Un plaisir bien identifié du côté de la rédaction : « On a prouvé que les gens se surinvestissent dès qu’ils sentent qu’ils peuvent avoir un impact sur l’histoire, » confirme Roland R. Le gagnant du jeu explique que c’est au moment où il a vu que ses scénarios commençaient à influencer le jeu qu’il s’y est plus investi. Son but à terme, et celui des joueurs qui s’engageaient plusieurs heures par jour, était de créer des scénarios qui aient une incidence sur tout le jeu.
Pourquoi cette envie ? Rolland propose une clé de lecture de ce besoin de participer à Anarchy en particulier et à l’écriture d’un scénario politique de manière plus large : « Pour la première fois, certains ont eu l’impression d’avoir un impact sur leur vie : il y a une partie de la confiance dans les hommes et les femmes politiques qui s’est effondrée et ils n’ont pas l’impression d’avoir un impact sur la vie quotidienne. Et là c’était eux qui faisaient la vie du pays, c’était eux qui étaient aux commandes » Cette histoire qui concerne la France et les Français a permis à chacun de se sentir concerné. Adèle P., auteur dans la rédaction, avance cette interprétation : « C’était une façon pour chacun d’écrire la grande ou la petite histoire, c’est-à-dire que si on a envie de faire vivre ses personnages dans son propre village, on pouvait et je pense que c’était très gratifiant. » Certains contributeurs ont cependant revendiqué un mode de création plus personnel, plus autonome. C’est le cas de Simon T. : « Je ne voulais pas que mon personnage soit influencé ou qu’il ait beaucoup d’influence sur l’univers. […) J’ai préféré qu’il reste à part. »
Le système de classement mis en place sur Anarchy.fr, basé sur des points, n’est pas non plus étranger au succès de l’expérience. Pour certains, il était secondaire car ils étaient là pour le jeu d’écriture. Mais pour d’autres, la motivation était bien différente : « L’appât du gain a fini par l’emporter. J’ai compris que créer de faux témoignages rapportait bien plus que de créer l’histoire d’un personnage. Dès lors mon objectif principal était de récupérer les 150 points offerts aux témoignages retenus par la rédaction, » avoue un joueur. Même chose pour Simon T. Quand il a écrit moins souvent et découvert qu’il était sorti du classement des 100 premiers, il s’est réinvesti car il aurait risqué de ne pas remporter de prix. Clémence L., rédactrice au sein de l’équipe, nous explique qu’effectivement, les points étaient très importants pour certains, parfois au détriment de la cohérence de l’histoire : « Des joueurs avaient tendance à batailler pour tuer d’autres joueurs et gagner des points. »
L’imminence de la diffusion de la série télévisée constituait également un facteur de motivation important. Beaucoup ont été attirés par l’idée de voir un de leurs personnages adaptés à l’écran, puisque c’était là une promesse forte du projet transmédia : ils reconnaissent qu’il était plaisant de voir son personnage incarné et son nom dans le générique. Mais manifestement, cette motivation a rapidement été reléguée au second plan : « Certes cela faisait plaisir mais ce n’était pas la motivation des auteurs du haut du classement, » précise Rémi L. D’autant que la série, qui ne correspondait pas toujours à l’univers développé sur Anarchy.fr, en a découragé plus d’un. « C’était un bon point de départ pour donner à tout le monde l’envie de démarrer mais la série s’est beaucoup éloignée, c’était presque deux choses différentes au bout d’un moment, l’évolution de la série et l’évolution des textes des joueurs », considère Simon T. Les pratiques d’écriture se sont donc progressivement décorrellées de l’envie initiale de jouer un rôle visible dans la création de la série télévisée. La télévision était un argument initial de participation mais celle-ci s’est déplacée sur le site, qui a rapidement pris le pas sur la série.
Faire participer les participants, un enjeu majeur
Réussir à réunir des participants sur ce genre de projet n’était que le premier pas pour l’équipe. Pour qu’une expérience de collaboration sur une œuvre de fiction soit un succès, il faut que les participants veuillent continuer à s’y plonger, jour après jour. Nous avons vu que la force de la storyline constituait l’un des facteurs de cet enthousiasme. Mais il ne semble pas que cela ait pu suffire : il faut bien tenir compte des efforts répétés de l’équipe de rédaction pour animer la communauté des participants, requalifiés en joueurs. Comme le souligne très justement Clémence L., « il faut trouver un mécanisme de valorisation des joueurs, si leur texte n’est pas repris ou si on ne les félicite pas par un système de point ou par des mails de remerciement, ils ne vont pas continuer. Il y a un vrai équilibre à trouver. » Envoi de mails, préparation de tutoriels et d’articles récapitulatifs, community manager très réactif et attentif aux désirs des joueurs : un tel projet demande beaucoup de temps, d’implication et d’inventivité chez ceux qui le proposent. « Dès que vous réclamez un investissement chez les gens, il y a un tri qui se fait. A partir du moment où ils participent, on va valoriser leur investissement et l’entretenir, l’encourager », explique Roland R. L’échange constant qui s’est construit entre l’équipe et les joueurs était une condition expresse pour que l’univers d’Anarchy se développe. « On utilisait l’actualité qui était décrite dans les articles mais en même temps ils reprenaient ce qui se passait en retour », dit Rémi L. Cette reconnaissance de la qualité du travail proposé par les joueurs a donc encouragé leur participation. Roland R. nous confie qu’à partir de la deuxième partie du jeu, « c’était 50 à 60 % des contributions des joueurs qui alimentaient l’histoire ».