Dans une volonté de promouvoir l’égalité des genres, cet article a été intégralement rédigé en écriture inclusive.
La visibilité et l’image des groupes sociaux dépendent de leur traitement médiatique, puisque la médiatisation est avant tout un processus de publicité : elle rend publique, par la représentation. En ce sens, il existerait une responsabilité des médias dans l’intégration de groupes marginalisés. Aujourd’hui, les personnes transgenres font partie des plus discriminées tant au quotidien que dans les sphères professionnelles et juridiques. En plus de leur rareté, les représentations les plus massivement diffusées jouent rarement en faveur d’une acceptation progressive, bien souvent cantonnées à une binarité stéréotypée entre les porte-paroles hollywoodiens et les marginaux caricaturés. C’est là tout l’ambiguïté des problématiques de visibilité que nous allons traiter ici.
Des porte-paroles influents mais d’un intérêt contestable
Pour commencer, les personnalités transgenres mondialement reconnues ne sont pas légion. Par ailleurs, dès que l’un.e d’entre elleux acquiert une visibilité conséquente, iel est naturellement proclamé.e porte-parole de sa « communauté » par des personnes qui en sont extérieures. Cette posture n’a ainsi souvent rien à voir avec un quelconque investissement militant ou une reconnaissance positive des propos et de positionnements de cette personnalité par ladite communauté concernée. Les militant.e.s du quotidien sont très rarement relayé.e.s par les médias, mais d’autres dont la visibilité dépend d’activités extérieurs à de potentiels engagements se retrouvent face à une société qui attend d’elleux qu’iels puissent représenter un groupe social dont les enjeux peuvent leur être méconnus.
Cas d’école : les moult prises de parole controversées de Caitlyn Jenner suite à son coming out médiatique en 2015. L’actrice de télé-réalité est actuellement la femme trans la plus connue, et visible, de la planète, et a multiplié les propos maladroits voire offensants. L’ancienne athlète est accusée de ne pas savoir évoquer les violences, discriminations et autres difficultés d’intégration en raison de son mode de vie qui implique une « image erronée » des problématiques trans. L’actrice a cependant affirmé que les médias lui avaient « collé » une « étiquette de porte-parole de la communauté trans » alors qu’elle n’en avait pas la prétention. Si elle a depuis tâtonné pour prendre conscience des enjeux trans et s’engager, notamment à travers son show de télé-réalité I am Cait, elle participe néanmoins à diffuser massivement une image des personnes trans obnubilées par des problèmes propres à leur transition autour de dîners luxueux, plutôt que d’évoquer les obstacles sociétaux extérieurs qui font davantage de torts à la communauté et font perdurer la marginalisation.
Transidentité
La transidentité est le fait d’avoir une identité de genre différente que celle assignée à la naissance. On parle de personne cisgenre lorsque le genre assigné à la naissance correspond à son identité de genre. La transsexualité définit le changement de sexe par une opération de réassignation et réduit souvent l’identité des personnes transgenres à une opération chirurgicale. Le terme « transgenre » est souvent utilisé, aussi bien que « personne trans » qui peut faire référence aussi bien à un homme trans, qu’à une femme trans ou à une personne non-binaire.
La valse des clichés : des marginaux stéréotypés ou des destins exceptionnels de figures maudites
Il faut donc considérer que certaines représentations dominantes peuvent se retourner contre les personnes trans, notamment lorsque ces dernières, partant pourtant parfois d’une bonne intention, perpétuent des stéréotypes dommageables. Au cinéma comme dans les séries télé, les personnes transgenres sont d’abord définies par leur transidentité et par le fait qu’elles en souffrent. L’approche historique peut alors apparaître comme un biais pour justifier des mélodrames dans lesquels les rôles des personnages trans sont généralement attribués à des hommes blancs cisgenres qui se voient oscarisés pour leurs performances et leur engagement.
Ainsi dans Dallas Buyers Club (2013), Jared Leto incarne une femme trans des années 80, séropositive, droguée et prostituée qui meurt en martyr à la fin du film. Plus récemment dans The Danish Girl (2015), on suit l’artiste Lili Elbe dans la découverte de sa transidentité et une fois encore, elle ne trouve la paix et la liberté qu’à travers une mort tragique. Dans cette destinée maudite, le drame mis en avant est le « fardeau » de la transidentité plutôt que l’intolérance de la société. A l’échelle hollywoodienne, on constate d’ailleurs que les femmes trans sont plus représentées que les hommes trans [1] . La représentation des hommes trans serait considérée comme plus dérangeante par les producteurs comme par le grand public, la perte de virilité étant plus acceptée que son accession.
Ces représentations sont somme toute classiques et ont des conséquences concrètes sur les regards portés sur les personnes trans. Elles alimentent le cercle vicieux des stéréotypes et l’idée d’une déviance inhérente aux individus. Or, comme l’a théorisé Howard S. Becker, la déviance est créée en société, la majorité dominante appliquant des normes et leurs sanctions à celleux qui les transgressent [2]. Représentés comme des victimes, les personnages ne luttent pas contre ces sociétés. Pourtant, si bon nombre de personnes trans sont dans des situations précaires, parallèlement à des violences continues, beaucoup d’entre elles sont intégrées tant socialement qu’économiquement, mènent une vie tranquille tout en continuant de lutter pour une acceptation globale de toutes. Celleux-ci sont médiatiquement invisibilisé.e.s dans leurs réalités quotidiennes, dans la mesure où le peu de productions et contenus qui les représentent ne sont pas sensationnalistes, moins potentiellement créatrices de buzz et donc peu mis en avant. N’en déplaise à Hollywood, il est aujourd’hui largement possible de conter les destinées véridiques de quotidiens marqués par l’empowerment [3].
Des premiers pas pertinents dans la pop culture
Tellement possible que d’ailleurs, certain.e.s le font. Des productions médiatiques développent ainsi des contenus à valeur éducative et sensibilisatrice, dont quelques-unes ont fait leur apparition dans la pop culture et sont plus ou moins reconnues.
La série Transparent diffusée depuis 2014 sur Amazon Video suit la transition male to female d’un père de famille sexagénaire, dans un joyeux contexte de théories queers et féministes. A travers Moira sont abordés des enjeux et problématiques concernant les personnes trans : acceptation au sein du cercle de proches, discriminations et violences ordinaires ou spécifiques, précarité, vie amoureuse et sexuelle… Les intrigues ne sont cependant pas exclusivement fondées sur ces difficultés, mais également sur les relations interpersonnelles familiales. La série a reçu un très bon accueil critique : elle a été la première série produite par un service de streaming à remporter un Golden Globe dans la catégorie « Meilleure série ». En France, la série est diffusée sur OCS City depuis 2015.
Dans la même dynamique, mais avec un rayonnement supérieur, Sophia Burset, jouée par Laverne Cox dans la série Netflix Orange is the New Black, a le mérite d’être un personnage trans incarné par une actrice trans. Il s’agit là d’un enjeu capital dans les modes de représentation et de visibilité des personnes trans, tant ce parti-pris est encore rare alors qu’il pourrait sembler aller de soi. Outre les messages pertinents que Laverne Cox adresse dans les médias, les intrigues de son personnage ont une portée sensibilisatrice d’autant plus constructive que la série gagne en influence auprès du public principal de Netflix, les moins de 35 ans. Le fait que Burset soit noire et issue d’une classe moyenne offre par ailleurs une représentation ancrée dans une réalité accessible au grand public, et une figure de convergence des luttes intersectionnelles [4].
Enfin, la web série Her story montre le quotidien de deux femmes trans, alors que l’une d’elles, Violet, est approchée par une jeune journaliste lesbienne qui justement se pose des questions sur la transidentité. Her story, portée par la réalisatrice Sydney Freeland déjà primée pour son film Drunktown’s Finest, traite de la vie amoureuse des trans et queers avec beaucoup de justesse et des représentations positives laissant une place potentielle à un public trans, même si le contenu reste profondément pédagogique, et par définition à destination des personnes cisgenres.
Si ces séries bénéficient aujourd’hui d’une bonne visibilité, elles ont commencé par être éloignées des acteurs médias traditionnels : toutes ont en effet été diffusées sur des plateformes de streaming.
Les trans parlent aux trans : des créations qui peinent à émerger
Ce qui se profile alors, c’est que les représentations majoritaires sont des portraits réalisés sur un ton quasi documentaire. Bon gré mal gré, cette propension de certains médias à vouloir sensibiliser et instruire aboutit à la production de contenus pédagogiques. Le fait est qu’on peut considérer que ces projets éducatifs tendent à une objectivation des personnes trans, entre l’individu et l’objet d’étude, impulsée par des gens voulant bien faire en proposant une visibilité positive. On touche alors le fond du problème, celui de la pauvreté des représentations à destination des personnes trans, c’est-à-dire capables de se détacher de la transidentité d’un personnage trans pour en faire simplement un personnage.
En tant que femmes trans, les sœurs Wachowsky mettent en scène dans leur série Sense 8, diffusée sur Netflix, le personnage de Nomi, également trans et jouée par une femme trans, dont la transidentité est reléguée derrière sa caractéristique de hackeuse et sa relation de couple avec Amanita. Cette approche donne une réelle profondeur au personnage en lui conférant une authenticité qu’on trouve rarement ailleurs que dans des productions réalisées par des personnes elles-mêmes trans. Contrairement aux personnages des autres séries évoquées, Nomi n’est pas dans l’explication constante de sa condition.
Pour continuer dans cette lancée et varier les médias, la bédéiste canadienne Sophie Labelle a donné en octobre 2017 une conférence à l’Université Pierre et Marie Curie dans le cadre de sa tournée européenne, au cours de laquelle elle a évoqué ces enjeux complexes de représentation et de visibilité. Labelle est à l’origine du web-comic Assignée garçon qui avait pour vocation « d’inonder l’internet de bandes dessinées sur les personnes trans » à destination des trans. De fait, les strips sont souvent conçus sur des jeux de mots empreints d’ « humour trans », avec une propension à la punchline comme réponse aux maladresses ou attaques du quotidien. Selon Labelle, les médias occultent les facteurs extérieurs d’hostilité en sous-entendant fréquemment que les personnes trans forment leurs propres problèmes autour de leur transidentité. Elle met ainsi l’accent sur ces obstacles, plutôt que sur les difficultés propres à la transition. Son parti pris est celui de la célébration de l’existence des transgenres plutôt que du témoignage ou de la revendication d’une douleur causée par lesdits obstacles extérieurs.
A titre personnel, et après avoir rappelé qu’une visibilité implique harcèlement et déferlement de haine, Sophie Labelle dit avoir cessé de voir l’éducation comme un salut ultime pour les personnes trans tant certain.e.s voient l’existence même des personnes trans comme intrinsèquement incompatible avec leur vision du monde. Pour ce public, l’éducation n’est pas une solution, et on manque actuellement d’idées alternatives, si ce n’est la loi.
Considérant qu’il est déplacé d’exiger des personnes transgenres qu’ielles éduquent et justifient leur existence auprès des populations, et que les représentations positives et pertinentes sont invisibilisées, les solutions concrètes restent la curiosité bienveillante, la lecture et le militantisme.