Rencontre avec Ludovic Henry, producteur

Le Jour le plus Court, vendredi 19 décembre 2015, Carreau du Temple, Paris 3e 

Ludovic Henry est producteur au sein de la société de production La Mer à boire Productions, coprésident du ROC (Regroupement des Organisations du Court) et membre du SPI (Syndicat des Producteurs indépendants). À l’occasion des tables rondes organisées dans le cadre de la manifestation Le Jour le plus Court, Effeuillage a rencontré ce producteur engagé dans la réflexion autour des modèles économiques de financement et de diffusion du court métrage.

Effeuillage : En tant que producteur, quels sont vos rapports avec les chaînes de télévision sur les questions de financement du court métrage ?

Ludovic Henry : En tant que producteur, à partir du moment où l’on reçoit un scénario et qu’avec son auteur, on est convaincu de son bien fondé, on le retravaille ensemble pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Une fois que le scénario nous semble mûr, on présente le projet.

Je définis mon métier comme celui d’un transmetteur. On m’a transmis une idée, on en a fait un scénario, il faut ensuite transmettre l’énergie que j’ai pu avoir avec l’auteur lors de l’élaboration du scénario auprès des différents partenaires.

Les chaines de télévision interviennent à deux niveaux : soit en préfinancement, soit en diffusion. Pour nos projets, on reçoit d’autres financements du CNC[1] ou des collectivités territoriales mais on cherche à valoriser le préfinancement car ce qui est compliqué pour nous c’est de fabriquer le film. Il faut en effet payer les nombreuses charges liées au film (dont les salaires puisqu’en tant qu’entreprise commerciale, tout cela est très réglementé). Quand une chaîne de télévision achète un film, c’est qu’à priori, le plus souvent, la boîte de production a financé le film. Soit cet argent vient pour éponger les dettes, soit le film était équilibré est c’est de la pure rentabilité.

Les rapports entre les producteurs et les chaines sont complexes et parfois assez évidents. Les chaînes participant à la plupart des commissions au CNC, lorsque l’on fait une demande de financement, souvent les membres qui composent les commissions ont déjà vu le projet et cela peut aller assez vite. Mais quand le projet n’a pas été présenté au CNC et qu’on le présente à une chaîne de télévision, il se passe souvent plusieurs semaines, voire plusieurs mois, même si on a l’habitude de travailler avec les mêmes diffuseurs : Canal +, France 2, France 3, Arte, Orange, TV5 Monde. Il y a environ une dizaine d’acheteurs de courts métrages en France, ils sont donc très sollicités. Donc il faut faire comme tout le monde, déposer le scénario sur le serveur de la chaîne et d’attendre que celle-ci se prononce.

E : Est-ce que vous avez remarqué des genres ou des contenus qui marchent davantage pour la télévision ?

L.H. : On remarque un déficit sur le moyen métrage, les chaînes de télévision s’intéressant de plus en plus à des films relativement courts, souvent autour de 15 minutes. Cela dit, Arte continue à valoriser les moyens métrages et France Télévisions continue à acheter des films pouvant aller jusqu’à 20-30 minutes. On note aussi un vrai essor sur l’animation aujourd’hui.

E : Que pensez-vous du fait que les programmes dédiés au court métrage soient toujours diffusés après minuit ?

L.H. : Cette case de diffusion fait débat avec les chaînes de télévision depuis longtemps. Néanmoins cela permet aussi une grande liberté dans le court métrage, sur le casting par exemple. Et puis, cela ne serait pas pertinent de mettre un court métrage à 20h30, personne ne les regarderait. Il vaut mieux un rendez-vous qui soit annoncé, comme par exemple Histoires courtes sur France 2, le dimanche soir après minuit. L’émission est annoncée dans la bande annonce des programmes de la soirée. Et puis il y a un public, les gens regardent la télévision de plus en plus tard. Il vaut mieux une case pérenne à minuit qui fonctionne qu’une case-test trop tôt dans la soirée qui va décevoir les patrons d’antenne et desservir le court métrage. Cette case tardive n’est pas tant que ça un souci, pour peu qu’elle soit bien identifiée et que ce soit un rendez-vous que l’on propose. Ce qui est le cas aujourd’hui.

E : Pouvez-vous nous citer un exemple de court métrage que vous avez produit et qui a bénéficié du soutien d’une chaîne de télévision ? Comment cela s’est-il passé et quelles en ont été les conséquences sur la vie du film ?

L.H. : Le court métrage de Caroline Deruas-Garrel, Les Enfants de la Nuit. Un film d’époque ambitieux, de 30 minutes, avec Adèle Haenel. Il nous manquait un diffuseur pour ce court métrage, produit par la société Les Films au Long Cours. C’est Roland Nguyen, à l’époque responsable des courts métrages à France 3, qui s’est investi sur le projet. Le film a ensuite fait un carton, a même eu un Léopard au Festival International du Film de Locarno et est sorti en salle, en unitaire. C’est un exemple parmi d’autres qui montre les belles trajectoires possibles de films qui avaient besoin des chaînes de télévision dès le départ.

[1] Centre national du cinéma et de l’image animée