LES ÉPOUSAILLES DE LA TÉLÉVISION ET DU MARIAGE

Valérie Patrin-Leclère, enseignante-chercheuse au CELSA Sorbonne Université, laboratoire GRIPIC

Pour la rentrée 2021, Cyril Hanouna a annoncé préparer une énième émission française consacrée au mariage. Pourquoi donc les cérémonies nuptiales attisent-elles autant la convoitise de producteurs ? Pourquoi la télévision en a-t-elle fait un de ses nouveaux terrains de jeu, alors que les Français convolent moins que jamais en noces ? Pour décrypter cette tendance médiatique forte, il est nécessaire d’adopter un angle économique et pas seulement socioculturel.

Une cérémonie de mariage est conçue à destination d’un public invité pour célébrer l’union des deux mariés : elle est annoncée, les bans sont publiés, l’événement est préparé – souvent de longue date –, les films et photos sont soignés, puis partagés et archivés, les anniversaires sont ensuite commémorés, etc. Autrement dit, même quand il engage des personnes non célèbres – sans qu’elles soient pour autant anonymes, comme le laisse abusivement entendre le vocable souvent usité –, le mariage a à voir avec la médiatisation : c’est un événement-spectacle doté d’une forte capacité à attirer les (télé)objectifs. Il n’est donc pas très surprenant que la télévision s’y intéresse. Il est même logique que les grands mariages, ceux qui unissent des personnalités publiques, soient souvent télévisés, et ce de longue date – on se souvient par exemple des mariages princiers retransmis et commentés par Léon Zitrone à la télévision française dans la deuxième moitié du XXème siècle. Le mariage est un dispositif médiatique doté d’une médiagénie[1] télévisuelle.

Depuis quelques années, c’est un lien très particulier qui s’est tissé entre télévision française et mariage ; particulier en ce sens qu’il ne s’agit plus seulement de proposer au public la retransmission d’images de mariages unissant des personnalités publiques mais de faire du mariage en tant que tel le sujet du programme, c’est-à-dire indépendamment de l’identité des mariés, qui se retrouvent alors désignés par leur simple prénom. Et dans ce cas, ce n’est pas la valeur culturelle et sociale qui est mise à l’honneur – entendons par là la manière dont les sociétés s’organisent autour de couples puis de foyers, la manière dont sont représentées et construites les histoires d’amour et les promesses d’unions durables[2] – mais plus précisément la dimension spectaculaire de la cérémonie. L’attrait des chaînes de télévision françaises pour les cérémonies de mariage s’est confirmé en 2018, avec une recrudescence soudaine d’émissions mettant en scène les préparatifs de mariage et le moment précis du rite célébrant l’union. La tendance a été très forte, comme en témoigne l’encadré n°1, avec un cumul entre programmes déjà installés et nouveautés, lesquelles n’ont d’ailleurs, pour la plupart, pas fait long feu. Mais malgré ces audiences en demi-teintes, voire peu encourageantes, cette inclination télévisuelle française pour le mariage se confirme. Fin juillet 2021, l’animateur et producteur Cyril Hanouna a en effet fait savoir qu’il prévoyait de commencer en septembre le tournage d’un nouveau programme destiné à la chaîne C8, intitulé « Donne-moi ta main », consacré aux « demandes en mariage les plus folles possibles »[3].

A force de voir des mariages dans des jeux télévisés très ressemblants les uns aux autres, on en viendrait presque à perdre de vue l’originalité originelle du concept, pour ne pas dire son caractère inattendu voire incongru.

Cet article interroge les raisons de la propension des producteurs et des diffuseurs à investir avec insistance le mariage comme nouveau terrain de jeu télévisuel. La thématique « mariage » s’est rapidement banalisée, jusqu’à paraître évidente. Pourtant, cette exploitation télévisuelle, en particulier dans des programmes de téléréalité qui reposent sur la compétition entre les participants, ne tombe pas sous le sens : la cérémonie du mariage est a priori sérieuse. Comment et pourquoi la cérémonie de mariage est-elle devenue un argument de jeu télévisé, prétexte à évaluation et à divertissement, dans lequel des mariés acceptent d’exposer un moment par nature unique et intime ? Mais aussi, pourquoi ce filon de programme perdure-t-il depuis plusieurs années, alors même que les audiences ne semblent pas exceptionnelles, loin s’en faut ?

Explorer les méandres des programmes consacrés en France au mariage est l’occasion de mettre en lumière certains des liens entre création médiatique et raison socio-économique. Quand la télévision fait son marché chez les mariés, c’est son fonctionnement qui se révèle. Ainsi cette étude croise étude sémiologique des programmes et mise en perspective économique de leurs conditions d’existence.

Les émissions françaises consacrées au mariage
  • « Quatre mariages pour une lune de miel » (TF1, du lundi au vendredi dans l’après-midi, depuis 2013) : l’émission est adaptée de Four Weddings, diffusée depuis 2009 sur la chaîne britannique Sky Living. Elle est produite par ITV Studio France. Quatre femmes concourent, le jour de leur mariage, pour remporter une lune de miel d’une valeur de 3500 Euros. Elles sont évaluées par les 3 autres mariées sur 5 composantes de leur mariage : la décoration du lieu de réception, le repas, l’ouverture de bal, l’ambiance, la robe.
  • « Bienvenue aux mariés » (TF1, du lundi au vendredi dans l’après-midi, avril 2021) : l’émission est produite par Coyote Production. Elle met en scène 4 couples à la recherche du lieu de mariage idéal. Ils sont guidés par l’organisatrice de mariage Elodie Villenus. 10 semaines de compétition ont été tournées mais seulement 2 ont été diffusées, TF1 ayant déprogrammé suite aux résultats d’audience.
  • « Les plus belles mariées » (TF1, du lundi au vendredi dans l’après-midi, printemps 2018) : l’émission est produite par ITV Studios France. Elle est présentée par Karine Ferri. Quatre futures mariées concourent pour remporter le titre et s’offrir la panoplie de leurs rêves. Elles sont évaluées par les autres participantes sur 4 composantes : la robe de mariée, l’accessoire, la mise en beauté, la transformation.
  • « Mariés au premier regard » (M6, première partie de soirée, depuis 2016) : l’émission est adaptée d’un format américain, Married at first sight. Des célibataires passent des tests de personnalités et une équipe constituée d’un psychologue, d’un sexologue et d’un sociologue leur propose un partenaire censé leur correspondre, qu’ils rencontrent en mairie le jour de la cérémonie du mariage. L’émission de rencontre propose de commencer la relation de couple par une cérémonie de mariage.
  • « La robe de ma vie » (M6, en milieu d’après-midi ou deuxième partie de soirée) : l’émission est produite par Studio 89 et présentée par Cristina Cordula. 2 futures mariées se rendent en compagnie de leurs proches dans une boutique spécialisée pour choisir la robe « la plus importante » de leur vie.
  • « Ne dites rien à la mariée » (M6, première partie de soirée, été 2012) : émission adaptée du format de BBC (depuis 2007, Don’t tell the bride) qui consiste à donner 15 000 Euros à un jeune couple pour organiser son mariage en 3 semaines. C’est le futur mari qui organise tout, et la mariée découvre toute son organisation le jour de la cérémonie (robe, bague, fleurs, salle, invitation, repas, type de cérémonie).
  • « Mission mariage » (M6, première partie de soirée, à partir de juin 2018) : Cristina Cordula aide un couple à préparer son mariage, gérant les problèmes d’organisation et de mésentente familiale.
  • « Chéri, épouse-moi maintenant » (TF1, première partie de soirée, à partir d’août 2018) : émission adaptée du programme israélien Marry me now, produit par Réservoir prod et animé par Karine Ferri. Une femme qui désire se marier avec son conjoint lui fait la surprise de tout préparer en cachette et de le demander en mariage devant les caméras juste avant de l’amener à la cérémonie.

Mariage en déclin VS vague de programmes dédiés

La télévision est souvent comprise comme un miroir de la société[4], en ce sens qu’elle serait une représentation métonymique de ce qui se noue dans la quotidienneté, un mode d’accès à une forme concentrée des sujets qui intéressent ou préoccupent les téléspectateurs. Autrement dit, les tendances télévisuelles reflèteraient, même si ce reflet est partiel et déformé, ce qui se déroule dans la vie sociale. Pourtant, ce raisonnement ne permet pas d’expliquer l’avènement du mariage comme thématique télévisuelle phare : si on voit beaucoup de mariages à la télévision française, l’explication ne se trouve pas dans le fait que le mariage aurait le vent en poupe chez les Français. La cérémonie du mariage a en effet très fortement décliné en nombre. C’est même au moment de sa relative raréfaction que la télévision s’est mise à traiter le sujet copieusement, pour ne pas dire frénétiquement. En France, le taux de nuptialité a été divisé par deux entre 1980 et 2014[5] (de 6,4 à 3,7 pour 1000 habitants), et les chiffres sont proches dans tous les pays de l’Europe. Dans l’hexagone, on célébrait environ 400 000 mariages en 1970, 300 000 en 2000 et 230 000 en 2016.

On trouve au contraire deux chiffres qui dénotent une augmentation sensible : d’une part l’augmentation du taux de divorces – de 1,5 à 1,9 pour 1000 habitants entre 1980 et 2015, pour atteindre environ 125 000 divorces prononcés annuellement – ; et d’autre part, l’augmentation du nombre de PACS (Pacte Civil de Solidarité), qui était de 189 000 en 2015, concurrençant le mariage. En 2015, 4 PACS ont été conclus pour 5 mariages célébrés, contre 1 PACS pour 5 mariages 10 ans plus tôt. En 2019, on arrivait même quasiment à égalité : 196 000 PACS, 218 000 mariages[6]. La mode télévisuelle actuelle, qui fait du mariage et non du PACS ou du divorce une thématique forte, n’est donc pas la répercussion d’un phénomène social. Elle traduit autre chose, et c’est dans l’économie de la production des contenus télévisuels qu’il faut considérer son apparition et son développement.

Marché télévisuel international et notion de format

Les programmes étudiés ici sont ce qu’il est convenu d’appeler des formats[7]. Ils sont la résultante d’un marché télévisuel internationalisé, concurrentiel, imitatif, financiarisé et industrialisé. Un format a la particularité d’être juridiquement protégeable, de pouvoir être consigné dans une bible – un document conçu comme un cahier des charges, qui spécifie les éléments-clés de la création –, de se décliner en épisodes renouvelables selon des « saisons », et d’être adaptable sur plusieurs marchés, dans plusieurs pays. Le mariage apparaît comme un excellent sujet de format : c’est un thème universel, très « concernant », facilement reconnaissable, codifié, avec des invariants universels forts et en même temps des différences locales dans les préparatifs – selon la tenue des mariés, la mise en scène de moments symboliques comme la passation des anneaux, la nature de la réunion festive, les types de repas, danses et chants, le fait que la cérémonie soit religieuse ou laïque, etc. On a beau moins se marier en France aujourd’hui qu’hier, tout le monde sait reconnaître un mariage – et même au premier coup d’œil –, et surtout on se marie partout, dans tous les pays du monde, selon des traditions spécifiques et ancestrales.

Le PACS correspond quant à lui certes à une réalité sociale française importante, mais cette réalité est locale, spécifique, et surtout pas assez ritualisée pour servir de base à un format télévisuel. Pour faire format, il faut des règles, compréhensibles et aisément repérables, des invariants, un imaginaire dédié. Le mariage dispose de tout cela, pas le PACS : le premier est un « être culturel »[8] qui circule et s’adapte selon les lieux et les époques – les détails changent, mais pas l’essentiel –, le deuxième est un phénomène géographiquement circonscrit, plus administratif que rituel. Dans une certaine mesure, le PACS est même le contrepied du rite-mariage : les couples qui le choisissent s’affranchissent de tout ou partie des composantes cérémonielles du mariage. Phénomène social, le PACS n’est donc pas transposable dans un format, raison pour laquelle il ne constitue pas un bon sujet de programme récurrent de télévision, a contrario du mariage.

La prédilection pour les formats s’explique en partie par le souci des diffuseurs de tenter de maîtriser les conditions de réception de leur offre et d’anticiper autant que possible les audiences. De ce point de vue, toute série présente des atouts qu’un programme unitaire ne possède pas : l’accueil du public est plus prévisible quand on diffuse un épisode qui succède à un autre – car ni les téléspectateurs ni leurs avis ne devraient changer du tout au tout – , et par ailleurs le fait que cette série ait déjà été expérimentée sur d’autres marchés, dans d’autres pays, peut apparaître comme un gage rassurant. En recourant aux formats, les responsables des programmes réduisent théoriquement le risque, ils rationalisent le dispositif de production, quand bien même la rencontre avec le public reste par nature aléatoire. Tous les programmes listés dans l’encadré n°1 sont des formats, et la plupart ont été testés à l’étranger avant d’être adaptés sur des chaînes françaises. S’ils sont diffusés en France, c’est parce qu’ils ont fait leurs preuves dans leur parcours antérieur, sur des chaînes étrangères ; ou bien parce que le producteur est français et teste nationalement un concept qu’il espère pouvoir exporter.

On touche ici à deux paradoxes : premièrement, alors que les concepteurs de formats télévisuels sont censés inventer des concepts juridiquement protégeables en raison de leur singularité distinctive, c’est la ressemblance imitative qui transparaît au final – le sujet « mariage » est ici tellement exploité qu’il en devient éculé ; deuxièmement, alors que les diffuseurs sont censés optimiser les résultats d’audience en s’appuyant sur des programmes importés, les succès ne sont pourtant pas flagrants. En 2018, les diffuseurs français ont multiplié les formats « mariage », on l’a vu, mais la plupart se sont avérés des déceptions, avec un nombre de téléspectateurs dont il y a tout lieu de supposer qu’il a été en-deçà des attentes. Les déprogrammations ont même été nombreuses : un seul épisode diffusé pour « Ne dites rien à la mariée », 15 pour « La plus belle mariée » – soit 3 semaines –, pas de décision claire de maintien ou de prolongation communiquée après les mauvais résultats de « Mission mariage », de « Chéri, épouse-moi maintenant », de « Bienvenue aux mariés ». Dès lors, pourquoi travailler à de nouveaux programmes et creuser un filon qui a tout l’air de ne pas en être un ? Pourquoi, en dépit de ses résultats audimétriques, le mariage est-il un thème si couru ?

C’est dans ces paradoxes apparents que ce sujet révèle tout son intérêt : les programmes consacrés au mariage permettent de saisir des caractéristiques fortes du marché télévisuel actuel, du moins pour ce qui concerne les programmes dits de téléréalité (cf. encadré n°2).

Ces programmes qui ont les économies en partage

« 4 mariages pour 1 lune de miel », « Les plus belles mariées », « Bienvenue chez nous », « Bienvenue au camping »… Ces programmes de télévision ont de nombreux points communs [9] :

  • Ce sont des formats, duplicables de saison en saison, conçus pour être exportés (le premier est l’adaptation de « Four weddings », le deuxième de « Four in a bed »).
  • La situation initiale ne coûte rien à la production : le mariage, la chambre d’hôte, le camping ont une existence propre, préalable à l’éventualité du tournage.
  • La dynamique est celle d’un jeu, avec quatre participants, pour une diffusion hebdomadaire du lundi au vendredi : une journée consacrée à chacun des joueurs, une cinquième journée pour la finale qui s’achève sur la révélation du gagnant. La situation alimente donc cinq épisodes.
  • Chaque participant est tour à tour juge (évaluateur) et jugé (noté), ce qui permet à la production de ne pas avoir à s’attacher les services d’un jury d’experts.
  • On ne trouve pas systématiquement un présentateur mais un narrateur invisible, voix-off qui commente les images sur un ton aimablement moqueur.
  • Le programme alterne scènes d’actions impliquant les participants et scènes de commentaires d’un des participants sur l’action écoulée (laquelle peut être le visionnage d’une scène de commentaires filmée), notamment avec l’usage du « confessionnal » (lieu typique de la téléréalité où un participant raconte son ressenti face à la caméra), ce qui permet de remplir à faible coût la durée de chaque épisode.
  • Le dispositif est conçu pour favoriser une parole évaluatrice, critique, négative, entre participants nécessairement partiaux, qui en viennent même à se disputer lors de scènes prédisposées à circuler ensuite sur les médias numériques, où ils sont commentés par des téléspectateurs-internautes souvent narquois.

Nous mettrons ici en évidence 5 de ces caractéristiques : la maximisation de la rentabilité par la limitation des dépenses, la recherche de participants gratuits, la prédilection pour des thématiques divertissantes, l’existence d’un marché économique susceptible de soutenir le programme, l’industrialisation du commentaire. Notre approche consiste à mettre au jour des manières de faire structurantes, qu’on ne retrouve pas systématiquement ni dans tous les formats ni dans toutes les émissions consacrées au mariage, mais qui constituent des facteurs explicatifs pour comprendre l’avènement de ces programmes. Bien entendu, cette sélection ne prétend pas à l’exhaustivité ; il ne s’agit que de certains des éléments qui composent ces productions complexes, en complément d’autres dimensions non abordées ici[10].

Première condition : produire en limitant les coûts

Pour la plupart de ces programmes consacrés aux mariages, le coût du mariage est pris en charge par les mariés et non par la société de production. Les caméras de « 4 mariages pour une lune de miel » filment un mariage qui de toute façon aurait eu lieu. Ce qui contribue à faire du mariage un bon cadre pour la télévision, c’est qu’il s’agit d’un événement visuel, destiné à être vu, initialement par un public restreint mais qui peut être démultiplié grâce à l’ajout d’une équipe de tournage – et c’est ce qui se passe quand sont conviés, en sus, les téléspectateurs. Les mariés préparent leur cérémonie selon une mise en scène, ils conçoivent un moment de partage, destiné à un public. Quand les caméras interviennent, elles bénéficient d’un spectacle préconçu. Les professionnels de la télévision qui filment les futures mariées essayant des robes, ou qui suivent les couples à la recherche de leur futur lieu de réception, s’immiscent dans des scènes qui de toute façon auraient été censées se produire hors caméra. L’équipe de tournage se greffe sur des situations prévues ou prévisibles. Ce préalable est économique, au sens où il permet de faire des économies : le décor est offert[11]. Le plateau télé est amené sur un plateau. Plus généralement, retenons qu’à défaut d’espérer faire beaucoup de bénéfices avec le futur programme, un producteur a des raisons de privilégier les sujets qui ne l’engagent pas à de lourdes dépenses, car elles sont déjà prises en charge financièrement – ou préfigurées – le scénario de l’émission s’appuie, en l’occurrence, sur le déroulé du mariage et/ou de ses préparatifs.

Deuxième condition : trouver des participants gratuits et consentants

Le mariage fournit donc un décor, mais il apporte aussi des participants, qui présentent l’avantage de n’être ni des comédiens, ni plus largement des professionnels escomptant une rémunération : les futurs mariés constituent une population de potentiels candidats gratuits, en constant renouvellement, population par ailleurs facilement identifiable puisque celles et ceux qui envisagent de préparer une cérémonie autre que strictement confidentielle prennent nécessairement contact avec des professionnels du mariage.

La téléréalité a abondamment exploré, entre 2002 et aujourd’hui, les thématiques des arts du spectacle, notamment le chant – dans la mouvance de la « Star Academy » –, et de l’aventure – dans la mouvance de « Koh Lanta ». Or, il est très improbable de disposer, chaque année, en France, de 200 000 nouveaux talents de la chanson ou de 200 000 nouveaux aventuriers… Ici, on dénombre environ 200 000 nouveaux mariages, soit deux fois plus de mariés. Certes moins que dans le passé, mais encore largement assez pour fournir des participants[12].

Parmi celles et ceux qui vont convoler en noces, il est probable que seule une petite minorité soit susceptible d’accepter de participer à une de ces émissions de télévision. Mais obtenir ces consentements n’est pas une mission impossible : premièrement, un mariage est une dépense conséquente, et l’espoir de gagner une robe de mariée ou un voyage de noces peut tenter des couples. Deuxièmement, l’horizon du « vu à la télé » ajoute une événementialisation à une cérémonie déjà envisagée comme un événement adressé au public invité – une sorte de changement d’échelle, de montée en grade, de « cerise sur la pièce montée » – : ce jour de noces que les mariés sont de toute façon incités à organiser comme un moment exceptionnel devient absolument hors-norme quand il est filmé par des professionnels, avec des moyens techniques d’ordinaire inaccessibles et inespérés – y compris séance de maquillage et coiffage en coulisse. Les héros du jour bénéficient d’un traitement de star, le tournage est une promesse de surenchère dans l’intensité de l’événement et le film la garantie d’en garder une trace mémorable[13].

Les producteurs des émissions de téléréalité ont besoin d’identifier un flux important de candidats potentiels. Voici qui a tout l’air d’un truisme. Mais énoncer cette vérité amène à considérer les transformations médiatiques sous un angle particulier, qui conduit par exemple à envisager que la chronologie des thématiques à la mode pour les émissions de télévision pourrait être moins le reflet direct des tendances socioculturelles que la conséquence de cette nécessité pragmatique : les concepteurs de nouveaux programmes de téléréalité explorent, ils expérimentent, ils éclusent, et doivent trouver de nouveaux filons aussitôt qu’une source se tarit… A vrai dire, quand en 2002 se sont généralisées les émissions « de talent », ce n’était pas la conséquence d’un regain d’attrait pour le chant et la chanson. Rappelons que c’est au même moment que l’industrie du disque a commencé à ployer.

Et quand à partir de 2010 les émissions culinaires ont soudainement rivalisé dans les grilles de programme, y compris en prime time, ce n’est pas parce que les Français se sont soudainement découvert un goût insoupçonné pour la cuisine. On peut évidemment arguer que la cuisine est une dimension importante de la culture française, et que le bien-manger intéresse les Français… Mais ni plus, ni moins en 2010 que 10 ans plus tôt ou 10 ans plus tard. Rappelons pourtant la vague de programmes en quelques mois : « Master chef » (TF1 puis NT1, depuis 2010), « Top chef » (M6 depuis 2010), « Cauchemar en cuisine » (M6, depuis 2011), « Qui sera le prochain grand pâtissier » (France 2, 2013-2017), « Le meilleur pâtissier » (M6, depuis 2012), « La meilleure boulangerie de France » (M6, depuis 2013), « Dans la peau d’un chef » (France 2, 2013-2016), « Le meilleur menu de France » (TF1, 2015), etc[14]. Alors qu’auparavant on regardait des émissions de recettes de cuisine, soudain se sont multipliés les programmes de divertissement, produits avec plus de moyens, diffusés à des horaires de plus forte audience, conçus comme des jeux mettant en compétition des participants préparant des plats en vue d’accéder à l’étape suivante donnant lieu à un nouvel épisode hebdomadaire. Incontestablement, les succès des émissions culinaires invitent à penser que les rencontres entre le public et une production médiatique doivent être interprétées sous un angle social et culturel. Il n’en demeure pas moins que ces rencontres n’ont pu se produire que parce que ces émissions ont été conçues, à un moment donné ; et que ce moment-là ne peut être parfaitement compris que si l’analyste envisage aussi les conditions et les enjeux organisationnels et économiques du marché télévisuel. Pour le dire autrement, quand des téléspectatrices et téléspectateurs regardent des programmes consacrés à la cuisine, au mariage, au relooking, c’est assurément parce qu’ils y trouvent un intérêt, mais rien ne permet d’évacuer l’hypothèse selon laquelle un de ces sujets, comme le mariage, aurait aussi bien pu être apprécié il y a quelques années, s’il avait été alors télévisé. Or, s’il l’est aujourd’hui, c’est parce que l’écosystème professionnel de la production télévisuelle, dans sa consommation massive de thématiques successives, en est venu à décider de l’exploiter, quand il lui est apparu comme propice.

Troisième condition : une thématique « feel good »

Le mariage est un sujet heureux et plutôt consensuel. Vite embarrassés par l’image souvent dégradée voire dégradante du genre téléréalité dès ses premières années d’existence – la dénigrée « Trash TV » du début des années 2000 –, confrontés à la nécessité de trouver des participants, producteurs et diffuseurs ont multiplié les sujets ancrés dans le quotidien tout en offrant un peu de rêve. Dans ce sous-genre de la téléréalité qu’est la télécoaching[15], en plein essor aux alentours de 2010, le média télévision apparaît comme un intercesseur qui aide à rendre la vie des participants plus douce et plus belle. Sans qu’elle l’ait inventée, l’expression « feel good TV » doit une large partie de ses reprises sur le marché télévisuel français à Bibiane Godfroid, qui dirigeait alors les programmes chez M6 : « on est dans l’air du temps. On est très feel good. […] On est là pour rire ou, si ça ne va pas, pour donner des solutions pour que ça aille mieux ». Le journaliste auteur de cet article paru dans Le Parisien le 15 novembre 2011 précisait alors : « Le mot [feel good] reviendra une demi-douzaine de fois au cours de l’entretien ». Sont désignées sous ce vocable toutes ces émissions qui aident les participants à refaire leur garde-robe, à embellir leur logement, à trouver une maison, à prendre soin d’eux et de leur cadre de vie. Les émissions de mariage s’inscrivent dans ce renouvellement de la téléréalité « enchanteuse », qui guide ses candidats et donne des conseils aux téléspectateurs. Le mariage a un effet catalyseur, puisqu’il est communément désigné par l’expression « le plus beau jour de la vie ». Il est doté d’une grande puissance symbolique. Consacrer du temps d’antenne aux mariages, c’est accorder une place apparente à l’amour, au couple, à la famille, à la fête, aux traditions, aux rites. Dans tous ces programmes, il est question de « princesse », de « conte de fée », de « magie », de « rêve qui se réalise », de « fantasme de petite fille ». On relèvera d’ailleurs que dans ceux de ces programmes qui sont diffusés l’après-midi, sur des créneaux horaires qui se caractérisent par une audience majoritairement féminine, se dessine une construction sexuée stéréotypée : le mariage y est affaire de femmes, et les mariées sont souvent seules à l’image, le marié occupant une place secondaire, voire accessoire ou même prétexte. Le mariage apparaît comme un sujet positif, engageant et concernant, destiné à un public de femmes qui apprécient cette thématique, ou bien s’y projettent : elles peuvent envisager un jour de se marier et puiser ainsi des idées pour préparer leur propre fête, elles peuvent trouver plaisir à assister à distance à un mariage depuis leur salon, elles peuvent se projeter dans les préparatifs de leur propre participation à une future cérémonie – ne perdons pas de vue que 200 000 mariages, ce sont plusieurs millions de Français invités chaque année.

Quatrième condition : une thématique correspondant à un secteur marchand

Producteurs et diffuseurs ont besoin de nouer des partenariats et d’anticiper des échanges commerciaux. Le modèle économique d’une chaîne de télévision repose sur des annonceurs, et la création de programmes intègre cette nécessité de donner envie à des gestionnaires de marques d’acheter de l’espace publicitaire avant, pendant, après un programme.

Ce fonctionnement permet de comprendre pourquoi, au sein de la thématique « mariage », ce sont la cérémonie et ses préparatifs que les concepteurs privilégient. Cet élément est pourtant très ponctuel et même singulièrement réducteur – le mariage, c’est ce qui commence avec une cérémonie, et ne s’y résume aucunement. Les programmes ne traitent pas tant de l’engagement matrimonial que du choix des objets cérémoniels, et s’ils le font c’est parce-que ces derniers appartiennent à un secteur économique et parce qu’ils renvoient à des acteurs économiques : des produits (vêtements / bijoux / lieu de réception / décoration, etc.) et des services (organisateur, coiffeuse, maquilleuse, photographe, traiteur, vidéaste, etc.). Quand on parle de « mariage » ici, il ne s’agit absolument pas de vie maritale mais d’un récit reposant sur le déroulé suivant, qui présente la double qualité d’être filmable sur un laps de temps court et d’être en lien avec un secteur marchand : demande en mariage, choix de la tenue de la mariée, échange des vœux et des anneaux, réception, repas, fête. La focale porte sur la mise en scène de la cérémonie. La célébration importe plus que l’institution, au final très en retrait.

Les programmes ne traitent pas tant de l’engagement matrimonial que du choix des objets cérémoniels, et s’ils le font c’est parce-que ces derniers appartiennent à un secteur économique.

Nous l’avons dit, le nombre de mariages diminue en France. Mais il semble qu’en contrepartie, la somme allouée à la cérémonie augmente, car le choix serait plus impliquant et plus déterminé. On assisterait à un retour de l’imaginaire des « grandes noces », avec un fort investissement matériel et financier, étudié en profondeur par la sociologue Florence Maillochon[16]. Selon le baromètre SOFINCO Les Français et le budget mariage[17], le budget prévisionnel moyen était en 2020 de 7670 Euros – contre plus de 8000 en 2018, avant les restrictions festives consécutives à la vague de Covid-19. Un élément joue un rôle-clé dans les programmes : la robe de mariée. Dans le premier épisode de « Chéri épouse-moi maintenant »[18], on entend la voix-off expliquer doctement : « une robe de mariée n’a pas d’autre choix que d’être parfaite ». Après quoi la future mariée raconte : « J’ai enfin trouvé la robe de mes rêves, je peux enfin souffler, fini le stress ». Dans « La robe de ma vie », le décor est celui de boutiques et l’activité principale des participantes est l’essayage de robes. C’est l’occasion de plans longs, pour des scènes promotionnelles avec commentaires élogieux. En règle générale, quand la robe est filmée portée, c’est sans le visage de celle qui la porte ; et jamais le prix n’est évoqué, pas même un ordre de grandeur. Sur M6.fr, dans l’espace consacré au programme « La robe de ma vie », on peut lire : « Les premiers spectateurs de cette quête de la robe parfaite, les meilleurs alliés de ces futures mariées parfois au bord de la crise de nerfs, ce sont les vendeurs de robes de mariées ! Un métier particulier qui nécessite d’allier diplomatie, détermination, stratégie et douceur même dans les situations les plus délicates afin de trouver la robe de leur vie… » Le discours a des accents publicitaires. Le programme est façonné en support de monstration des produits et services disponibles sur le marché du mariage. Il n’est donc pas surprenant que le choix d’un « thème » au mariage devienne une figure imposée, puisqu’il fournit une occasion supplémentaire de « faire l’article » et d’exposer la tête gondole des sujets possibles – le rock, New York, les comédies musicales, le jaune ? – assortis des accessoires choisis par les mariés.

Ces émissions mettent à l’honneur des produits, qu’elles ne vendent pas directement mais promeuvent, ainsi que les professionnels de ce marché spécifique, missionnés en tant qu’experts et guides, présents pour fournir aide et conseils.

La téléréalité contribue en effet à faire connaître de nouveaux métiers de service, qui complètent l’action d’une télécoaching censée aider à mieux vivre – « feel good ». Après que les émissions de décoration ont récemment mis à l’honneur le « homestaging », les émissions de mariage érigent ainsi en personnage-clé le « wedding planner », jusqu’à faire d’une « wedding planneuse », Elodie Villenus, l’animatrice de « Bienvenue aux mariés ». Des figures professionnelles de la facilitation sont donc ici mises en scène par la télévision, positionnée en bonne fée qui s’abstient de mentionner les tarifs de ce type de prestation. Professionnels et produits, c’est toute la panoplie du marché du mariage qui vient en soutien aux programmes… En même temps que les programmes les soutiennent, en actifs supporters.

Cinquième condition : la mécanique de programme favorise les commentaires

Nous mentionnerons pour finir un dernier dénominateur commun de tous ces programmes, déjà analysé dans le premier numéro d’Effeuillage, il y a 10 ans : la place accordée aux commentaires, jusqu’à en faire une fabrique tellement systématisée qu’elle en est pour ainsi dire industrialisée[19]. Dans ces émissions, l’habitude est de noter et de critiquer. Le mariage a beau être un sujet a priori sérieux et positif, il est prétexte à évaluation. Et cette évaluation doit présenter cette particularité d’être facile à produire : tout le monde doit pouvoir exprimer son avis, sans élément de connaissance, sans expertise spécifique, participants comme téléspectateurs. Comme pour la plupart des programmes de téléréalité, la critique est une composante à part entière des programmes consacrés au mariage, et ce, selon deux modalités qui peuvent s’additionner :

  • La critique des autres participantes comme moteur scénaristique – type « 4 mariages pour une lune de miel », avec des mariées qui doivent émettre un avis sur les 3 autres cérémonies avec lesquelles la leur est placée en concurrence –, à tel point que l’essentiel du programme consiste à commenter une robe, un lieu de réception, un menu, etc., jusqu’à la médisance ;
  • et la critique des téléspectateurs comme moteur de visionnage : le regard porté sur le programme, par le téléspectateur, a tout lieu d’être volontiers moqueur à l’adresse de certains participants, pour la simple raison que le jugement sur les choix opérés par les mariés – voir sur le concept de l’émission, cf. encadré n°3 – est au cœur du dispositif.

La situation initiale, en l’occurrence la cérémonie, est l’argument qui permet de favoriser les prises de parole : le sujet n’est pas tant de montrer un mariage que de faire parler sur ce mariage. Les discours générés constituent la matière de ces programmes, qui occupent du temps d’antenne non seulement avec les commentaires des participants les uns sur les autres mais aussi les « auto- commentaires » : nous désignons ainsi ces commentaires dans lesquels la future mariée anticipe les situations à venir et fait part de ses doutes et espoirs, mais aussi ces nombreuses scènes typiques de la téléréalité, dans lesquelles un protagoniste vient raconter face à la caméra, dans le huis clos du proclamé « confessionnal », la manière dont il a vécu la scène qui vient d’avoir lieu. Là encore, c’est une économie de l’écriture qui se dessine, qui consiste à faire proliférer les situations télégéniques sur la base d’une scène initiale.

Finalement, la cérémonie du mariage, telle qu’elle est reconditionnée par ces programmes, réunit des éléments contradictoires. Elle constitue un mélange détonant entre la téléréalité, celle qui met ses participants dans l’embarras, en les projetant dans une expérience de vie inédite, et cet avatar plus récent qu’est la télécoaching, censée au contraire extraire de l’embarras, en apportant une aide financière, des conseils, des solutions. Les émissions de mariage façonnent un univers tout en duplicité, avec une tension constante entre éléments empathiques et oniriques – les ralentis, les images floutées, l’insistance sur les moments d’émotion, les mains crispées, les yeux emplis de larmes, les étreintes – et éléments de crise fabriquée : le programme construit des scènes de tension, il est le motif à l’origine d’une crise possible. La probabilité de la crise est provoquée par le dispositif, mais l’histoire racontée par le programme est en général de tout faire pour éviter qu’elle advienne. Il n’est pas surprenant que le leitmotiv qui circule dans ces émissions soit l’oxymorique formule consacrée, « se marier pour le meilleur et pour le pire ».

Le mariage est un sujet particulièrement attractif car il constitue une mine de clichés disponibles. Les programmes puisent dans ces clichés, en même temps qu’ils contribuent à en fabriquer de nouveaux.

Pour résumer, les programmes consacrés aux cérémonies de mariage constituent un espace de cristallisation, où se révèlent des transformations télévisuelles majeures. On y perçoit combien la téléréalité est un marché et à quel point les sujets choisis le sont pour des raisons économiques. De nombreux Français auront vu plus de mariages via ces programmes qu’ils n’en fréquenteront jamais de leur vie. Le public trop jeune pour être déjà marié aura forgé son imaginaire à l’aune de ces créations télévisuelles. Il est clair que la télévision contribue à construire une représentation de ce qu’est aujourd’hui le mariage, qu’elle le codifie, qu’elle invente de nouvelles représentations du mariage et donc de nouvelles pratiques, qui se traduisent à leur tour sur le marché – non télévisuel – du mariage.

La duplicité au cœur de « Chéri, épouse-moi maintenant » - épisode du 10 août 2018

Le ressort scénaristique : une femme veut se marier mais son conjoint ne l’a jamais demandée en mariage. Avec la complicité de la présentatrice Karine Ferri, elle organise le mariage en secret pour lui forcer la main.

On est dans le fantasme de la « princesse », du « conte de fée », de la « magie », du « rêve qui se réalise », avec une identité visuelle faite de coloris rose/bleu ciel/doré.

Ce n’est pas un programme sur le couple : l’héroïne est la femme, celle qui s’adresse au « chéri » du titre. Le générique joue sur l’image d’Epinal du couple surmontant la pièce-montée… Avec un mari pleutre qui s’enfuit et que la femme retient par les épaules.

La surprise repose sur un mensonge : « piéger », « mener en bateau », « mentir à ses proches », « prétexter », « énorme prise de risque », d’autant que le mensonge concerne également le reste de la famille : « cela fait des semaines qu’elle leur ment ».

Et la (peut-être) future mariée traverse une situation de crise : « je stresse », « tu me stresses », « pas serein ». Le marié n’a pas donné son accord (il s’agit de le lui soutirer), il ne participe en rien à ce projet qui l’engage. Karine Ferri insiste : « s’il dit non, tu le vis comment, il se passerait quoi ? » Et la conjointe suggère qu’elle pourrait le quitter. Le risque n’est pas anodin, l’humiliation d’un « non » (qui serait télévisé) pèse.

Le concept même du programme consiste tout à la fois à proposer son aide (favoriser un mariage) et à faire peser un risque sur la survie du couple. Le mariage est mis à l’honneur en même temps qu’il en vidé d’une bonne partie de sa substance : s’il a lieu, c’est au prix d’un conjoint et d’une famille piégés. Quant à l’engagement mutuel attendu dans un mariage, il ne sera ni vraiment librement consenti ni intime.

[1] La médiagénie désigne la capacité d’un récit à rencontrer la forme de tel ou tel média. En l’occurrence, la cérémonie du mariage est aisément télévisuelle, pour ainsi dire « télévisionnable ». Le concept de médiagénie a été élaboré par le chercheur Philippe Marion, notamment dans « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication n° 7, Université catholique de Louvain, 1997, p.61-87.

[2] Ce que l’on retrouve dans des programmes tels que L’amour est dans le pré ou en 2001 dans ce programme qui a lancé la téléréalité en France, Loft Story ; ici, le programme promet de chercher et trouver l’âme sœur qui fondera un couple.

[3] ZOLTOBRODA Michaël , « Donne-moi ta main sur C8 : Cyril Hanouna se lance dans les mariages », leparisien.fr, 27 juillet 2021.

[4] MEHL Dominique, La télévision et ses programmes, Payot, 1993.

[5]  https://www.insee.fr/fr/statistiques/2569324?sommaire=2587886

[6]  https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381498

[7]  Effeuillage n°5, « Ce que format veut dire », dossier dirigé par Yves Jeanneret et Valérie Patrin-Leclère, 2015.

[8] Yves Jeanneret définit les faits culturels en partie par leur capacité à circuler sans s’altérer : « Tout ce qui a un statut culturel dans la société connaît une destinée triviale, car c’est par les appropriations dont il est l’objet qu’il se charge de valeur », La vie triviale des êtres culturels, Hermès Lavoisier, 2008.

[9] Encadré publié initialement dans Effeuillage n°6, 2017, dans un article de la chercheuse Olivia Foli « Il y a aussi des vrais gens pris dans la téléréalité. Récit et analyse d’une cérémonie captée par un tournage », https://effeuillage-la-revue.fr/revue-papier/, p.27-31.

[10] Par exemple, la question du genre est déterminante pour étudier ces mariages télévisuels, qui enferment les hommes et les femmes dans des rôles très caricaturaux.

[11] Que le mariage devienne un décor et les participants des acteurs transforme la cérémonie ; c’est une question à part entière bien que non traitée dans cet article consacré à la genèse économique d’un type de programme.

[12] GRANIER Jean-Maxence et PICARD Clément, « De l’expérience de la téléréalité à la télé de l’expérience », Effeuillage n°1, 2012. Les auteurs montrent combien la question de l’expérience est au coeur de la téléréalité et innerve les programmes de télévision. La présence des caméras et la dynamique du jeu éloignent du « réel » stricto sensu, mais le principe est de créer les conditions du « non-feint ». En l’occurrence, quand on a affaire à des mariés, qui s’engagent dans un acte solennel, on n’est assurément pas dans le registre fictionnel : un mariage n’est pas « feint », et quand bien même il serait en partie joué, il possède un solide fond de vérité.

[13] Faire appel à un prestataire vidéaste pour « immortaliser » le mariage constitue un « must » prestigieux.

[14] Cette liste peut être complétée par la lecture de cet article de Virginie Félix, journaliste de Télérama spécialiste de la télévision et de la cuisine : « A la télé, l’appétit ne faiblit pas pour les émissions de cuisine », 3 octobre 2013.

[15] PATRIN-LECLERE Valérie, MARTI DE MONTETY Caroline, BERTHELOT-GUIET Karine, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation, chapitre 1, « Publicitarisation : ce que la publicité fait aux médias », analyse de la télécoaching, Le bord de l’eau, 2014, p.77-80.

[16] MAILLOCHON Florence, La passion du mariage, Paris, PUF, coll. « Le Lien social », 2016.

[17] Sondage OpinionWay, publié en mars 2020.

[18] TF1, 10 août 2018, première partie de soirée.

[19] PATRIN-LECLERE Valérie, « La téléréalité, machine à fabriquer des commentaires », Effeuillage n°1, 2011.

LES FEUILLETS DES 10 ANS :