LES BOUTONS DE RÉACTION FACEBOOK : VERS UN LANGAGE VIRTUEL DES ÉMOTIONS
Alix Philippot, diplômée du Master Médias Innovation et Création du CELSA 2019-2020
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Constamment à la recherche d’innovation, les réseaux sociaux ne cessent de proposer à leurs utilisateurs de nouvelles mises à jour. Alors que Facebook, lancé en 2004, avait conquis les internautes avec son célèbre « j’aime », le réseau social avait décidé d’aller un peu plus loin, en 2016, en proposant aux utilisateurs de nouveaux boutons de réaction. Si, au premier abord, ces boutons semblent anodins et facilitent l’expérience utilisateur, que cachent-ils vraiment ?
Vous souvenez-vous de Facebook avant l’apparition du bouton « j’aime » ? Instagram a-t-il toujours été muni de son bouton en forme de cœur ? Depuis 2009, il est possible d’apposer un « j’aime » à n’importe quel contenu publié sur le réseau social de Facebook. Le « j’aime », ou like si l’on reprend son nom d’origine, est le nom d’un bouton incarné par un pouce bleu qui se dresse vers le haut. Suite à la mise en place de ce bouton sur Facebook, le « j’aime » sera repris par Twitter sous la forme du bouton d’abord baptisé « favori » avant de devenir un cœur, mais aussi sur Instagram sous la forme d’un cœur rouge. En 2016, cinq nouveaux boutons rejoignent le bouton « j’aime » sur Facebook. Ce panel de boutons est baptisé Reactions. Individuellement, ils se prénomment, « j’adore », « haha », « wouah », « triste » et « grrr ». Puis, un nouveau bouton vient se joindre à ces derniers en mars 2020, lorsque la pandémie COVID-19 éclate. Ce bouton de réaction s’intitule « solidaire ».
Aujourd’hui, ces boutons sont complètement intégrés aux architectures des réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, Twitter ou encore LinkedIn. Leur activation se fait en un clic, presque instinctivement, leur omniprésence sur le fil d’actualité, leur juxtaposition à une publication, ne nous surprend plus. Nous maîtrisons leurs différentes significations et savons en faire « bon » usage. Pourtant, le bouton de réaction n’est pas un outil anodin. Imperceptiblement, il transforme notre rapport aux réseaux sociaux et aux contenus qui y sont diffusés. En parallèle, il permet d’amplifier mais aussi de préciser la récolte de nos données. Cet article a pour but de comprendre l’impact des boutons de réaction sur nos pratiques au sein des réseaux sociaux et de mettre en lumière la place centrale qui est donnée à l’affect par l’intermédiaire de ces boutons.
Le bouton de réaction n’est pas un outil anodin. Imperceptiblement, il transforme notre rapport aux réseaux sociaux et aux contenus qui y sont diffusés.
Les boutons de réaction, moteurs d’euphorisation
« J’aime », « j’adore », « haha », « wouah », « triste », « grrr » et « solidaire », tous les boutons de réactions Facebook, par leur nom et/ou par leur aspect visuel renvoient à l’émotion. D’un point de vue sémiologique, les boutons de réactions s’inscrivent également dans le ressenti. Ce sont des icônes qui représentent une émotion, deux termes, « émotion » et « icône », qui forment le mot émoticône lorsqu’on les assemble. Toute interaction qui passe par un bouton de réaction s’inscrit donc dans un rapport affectif.
Ainsi, sur Facebook, pour dire « je suis d’accord » je dois dire « j’aime » ou « j’adore ». Les deux propositions impliquent pourtant deux rapports différents au réel, des niveaux de communication différents : « je suis d’accord» est de l’ordre du discours intellectualisé, rationalisé, alors que « j’aime » est de l’ordre de l’affect. Pour distinguer ces deux formes de discours, Gilles Deleuze définit l’affect comme « un mode de pensée non représentatif »[1], qui s’oppose à l’idée que l’auteur définit comme « un mode de pensée qui représente quelque chose ». Avec les boutons de réaction qui leur sont propre, Facebook et Instagram font fi de cette distinction et ancrent l’affect dans des représentations précises et fixes, les transformant ainsi en idées. De quelles idées les boutons de réaction sont-ils alors révélateurs ?
Tout d’abord, c’est une certaine forme d’affect à laquelle les boutons de réactions font appel. Ainsi, sur Instagram il n’y a qu’un seul bouton de réaction, ce dernier prend la forme d’un cœur qui se colore de rouge lorsqu’on l’on clique dessus. Du côté de Facebook, le panel est certes plus large mais reste limité. Le bouton « je n’aime pas », par exemple, n’existe pas et n’existera sûrement jamais puisqu’en 2015 Mark Zuckerberg déclare à propos de ce bouton : « ce n’est pas ma manière de voir le monde […] ce n’est pas le genre de communauté [que je veux] créer »[2] . On comprend ici que les boutons de réactions sont nés d’une certaine vision du monde, et que cette vision souhaite prioriser un rapport positif.
La disposition des boutons sur Facebook révèle également ce prisme du positif qui est inhérent aux boutons de réactions. En effet, si on lit le panel de boutons de réactions proposés de la gauche vers la droite, on trouve en première position le bouton « j’aime » puis les boutons « j’adore », « solidaire », « haha », qui renvoient exclusivement à des émotions positives. Puis en cinquième position apparaît le bouton de réaction « wouah » qui peut exprimer aussi bien l’émotion positive de l’admiration que l’émotion ambivalente de l’étonnement. Ce n’est qu’en avant dernière et dernière position qu’apparaissent les boutons de réaction « triste » et « grrr » qui renvoient à des émotions foncièrement négatives.
Ce choix peut sembler anodin mais il est l’écho d’une orientation idéologique. Il est le résultat d’une réflexion et le fruit d’un recensement. Pour créer les boutons de réaction, l’équipe chargée du projet a répertorié les différentes émotions qui circulaient sur Facebook. Chris Cox, actuellement directeur des produits chez Facebook (CPO), explique ainsi que « Les emojis avec les yeux en forme de cœur, les GIFs avec des cœurs battants, et les «jtm» étaient rangés dans la catégorie « amour »[3]. Les boutons de réaction seraient donc un reflet de nos émotions. Cependant, ce ne sont pas n’importe lesquelles de nos émotions qui sont répertoriées. Ce sont celles que l’on exprime via un GIF, une émoticône, donc celles déjà inscrites dans des codes propres à un certain univers digital. Par ailleurs, l’exemple de Chris Cox révèle un biais culturel. En effet les exemples de GIFs et mots cités renvoient directement à un langage qui s’inscrit dans une culture américaine, ou du moins occidentale. Il n’est pas sûr que partout dans le monde, le cœur battant soit le premier émoticône utilisé pour exprimer son amour. Plus encore, il n’est pas certain que partout l’amour soit une émotion que l’on exprime ouvertement, sur un réseau social, et virtuellement. Enfin, l’exemple de l’amour nous ramène une fois de plus à une émotion positive. Si les boutons de réaction illustrent majoritairement des émotions positives, ils ont également été pensés pour en procurer.
En effet, l’ergonomie est un enjeu crucial des boutons de réaction. Ces derniers s’inscrivent dans un usage mobile first, c’est-à-dire un usage via smartphone. Ils sont donc pensés dans un rapport tactile, sensoriel.
L’idée est de créer une fonctionnalité simple et rapide d’usage, comme l’explique Sammi Krug, le product manager de Facebook, lorsqu’il annonce la sortie des boutons de réaction. Ainsi, il indique que ces derniers incarnent la réponse à un « besoin de nouvelles manières d’exprimer rapidement et facilement ce que vous ressentez »[4]
La réponse technique à ce besoin est la mise en place d’une ergonomie pensée pour s’inscrire dans le flow, c’est-à-dire dans « un état d’activation optimal dans lequel le sujet est complètement immergé dans l’activité »[5] . Parmi les différents éléments qui participent à la sensation de plaisir que procure le flow on trouve notamment « l’automatisation des gestes ». Un phénomène qui fait écho aux boutons de réaction qui sont activés par un simple clic ou tap, un geste qui se fait «rapidement et facilement» pour reprendre les termes de Sammi Krug. Inversement, les boutons de réaction découragent l’internaute d’autres formes d’interactions qui s’inscrivent dans un temps plus long, telles que la rédaction d’un commentaire ou le partage d’une publication qui demandent plusieurs clics, qui engagent davantage la réflexion, et dont la gestuelle est moins agréable. Chris Cox confirme que les boutons de réaction ont été créés dans l’idée de s’inscrire dans le flow lorsqu’il affirme : « Nous savons que lorsqu’ils sont sur leurs smartphones, les gens n’aiment pas utiliser leur clavier ».[6]
Retrouvez l‘interview d’Alix Philippot pour Effeuillage
S’immiscer dans l’énonciation, incarner la relation, influencer la réception
L’injonction à l’émotion qui provient des boutons de réactions ne s’adresse pas uniquement aux internautes. En effet, les contenus publiés sur les réseaux sociaux sont eux aussi soumis à cet impératif émotionnel. Plus encore, les contenus sont obligés de cohabiter avec les boutons de réaction, et même de s’adapter à ces derniers. Ainsi, dès qu’un contenu est publié sur Facebook, le bouton « j’aime » vient se juxtaposer à la publication, sans même qu’il ait été déclenché. Dès que d’autres boutons de réaction sont déclenchés, ce sont autant d’icônes qui s’ajoutent et restent accolées à une publication. Dans cette situation, les boutons de réaction deviennent une partie constituante de la publication, ils intègrent le contenu.
De plus, comme nous l’évoquions précédemment, les boutons de réaction sont des pictogrammes, c’est-à-dire qu’ils sont de nature picturale. Or l’image est une composante essentielle d’une publication sur les réseaux sociaux. En effet, en analysant les controverses sur Twitter, Virginie Julliard observe que la limitation du nombre de caractères pour une publication encourage l’énonciateur du contenu à multiplier les différentes formes sémiotiques telles que les hashtags mais aussi « le recours aux images pour prendre en charge une partie de l’énoncé. »[7] Cette analyse est transposable à Facebook car, si le nombre de caractères n’est pas limité, des règles implicites existent tout de même pour qu’un contenu soit plus attractif. Ainsi, lorsque nous interrogeons Charlotte Herzog, Social Media Editor chez Le Monde, elle explique que pour rendre une publication attractive sur Facebook, il faut tout mettre en place pour créer « l’instant gagnant ». Cet instant se construit à partir de trois éléments : le titre de la publication, l’image et le chapeau. Enfin, sur Instagram, un réseau social pensé pour la photographie, l’image constitue l’aspect principal d’une publication. L’image est donc au coeur de l’énonciation sur les réseaux sociaux et les boutons de réaction, de par leur nature picturale, intègrent cette énonciation.
Plus encore, les boutons de réactions préexistent à toute publication. Ces objets pensés et façonnés par les designers du réseau social sont donc comme une parure dont toute publication est obligée de se vêtir si elle veut exister sur un réseau social.
On comprend ici que les boutons de réactions sont nés d’une certaine vision du monde, et que cette vision souhaite prioriser un rapport au monde positif.
Les boutons de réaction s’imposent ainsi au récepteur de la publication mais aussi à son énonciateur. D’un côté, ils intègrent la lecture qu’un internaute fera d’une publication, de l’autre ils intègrent le message qu’un énonciateur voudra communiquer aux internautes. De cette façon, les boutons de réaction, et donc le réseau social à l’origine de ces boutons de réaction, s’immiscent dans la relation entre l’énonciateur et le récepteur et transforment le message.
Si l’on s’en réfère aux fonctions du langage de Jakobson[8], les boutons de réaction se placent alors au coeur de la fonction phatique, c’est-à-dire le moment de mise en relation entre l’énonciateur et le récepteur. Ce moment de mise en relation, qui est moins palpable et visible que le message lui-même, prend pourtant une place très importante dans une communication. Paul Watzlawick écrit en effet que « la fonction phatique de contact peut supplanter l’information »[9]. Si l’on transpose ce propos à une publication sur les réseaux sociaux, on observe en effet qu’il arrive que les boutons de réaction, placés entre le contenu publié et l’internaute, supplantent l’information diffusée par l’énonciateur.
Parfois, les boutons de réaction impactent tant ce moment de mise en relation que le sens que l’énonciateur souhaitait donner à son message se perd et le récepteur réagit de manière imprévue à ce message. Danah Boyd nomme cela l’effondrement du contexte[10]. On observe ce phénomène sous un post publié par Le Monde en avril 2020. Intitulé « La France entre dans son deuxième mois de confinement, près de 19500 morts en Espagne » la publication se compose aussi d’une image montrant des soignants en train d’enfiler des masques et combinaison pour se protéger du virus. Aux vues des termes utilisés tels que «confinement» et « mort » qui renvoie à la crise, la catastrophe, et ce accompagné d’une image montrant un espace hospitalier et visiblement un moment d’urgence, on peut imaginer que Le Monde s’attendait à des réactions tristes ou choquées. Pourtant, c’est le bouton de réaction « haha » qui a été le plus déclenché par les internautes. Cela signifie que la réception du message n’est pas celle qui avait été préméditée par l’énonciateur. Si les boutons de réaction ne sont sûrement pas les seuls responsables, le fait qu’ils proposent cette réaction dans un tel contexte participe à mettre en péril le sens du message. Les boutons de réaction participent ainsi à refaçonner une information et ce par des prismes idéologiques et culturels que nous avons identifiés précédemment et qui ont été décidés par les architectes du réseau social.
Précision des données et façonnage de nos émotions
Pourquoi venir se placer entre une publication et un internaute, entre l’énonciateur et le récepteur ? Pourquoi inviter l’internaute à cliquer au lieu de commenter, à déclarer une émotion plutôt qu’un avis, et pourquoi prioriser une émotion positive ? Plusieurs réponses s’offrent à nous, l’une d’elles s’inscrit dans une logique marchande.
En 2016, l’année de parution des boutons de réaction, le chiffre d’affaires de Facebook s’élevait à 8629 millions de dollars. Dans Le web affectif. Une économie numérique des émotions, les chercheurs Camille Alloing et Julien Pierre révélaient que 98% de ce chiffre d’affaires provenait de « la vente d’espaces publicitaires, dont 80% sur mobile »[11]. Ces espaces publicitaires deviennent encore plus attractifs avec l’arrivée des boutons de réactions car ces derniers permettent de préciser la récolte de données, ensuite vendues aux annonceurs afin de leur permettre de savoir précisément à quel type d’audience ils s’adressent. Les boutons de réaction permettent de nous rendre davantage « machine readable »[12], et cette grammatisation codée de nos affects permet de transformer ces derniers en données vendables et donc en source de revenu pour Facebook. Le terme, et cette grammatisation codée de nos affects permet de transformer ces derniers en données vendables et donc en source de revenu pour Facebook. Le terme « grammatisation » désigne cette mécanique liée aux boutons de réactions qui permet de transformer l’émotion, donnée abstraite, « non représentative » comme nous l’évoquions précédemment, en un langage identifiable, déchiffrable et pouvant être intégré efficacement aux algorithmes des réseaux sociaux[13]. Julien Pierre et Camille Alloing expliquent ainsi que « la personnalisation suppose une forme de profilage, et les interactions par le biais des signes émotionnels ou la déclaration d’états affectifs participent activement aux systèmes algorithmiques des dispositifs »[14]. Ces boutons précisent ainsi les données tout en restant plus simples à identifier et catégoriser qu’un commentaire, puisque le bouton de réaction répond à un schéma de datafication pensé par Facebook alors que le commentaire est le fruit d’une subjectivité, il est unique, et donc moins simple à répertorier.
L’ergonomie liée aux boutons de réaction sur Facebook permet également de préciser la donnée récoltée. En effet, pour déclencher un bouton de réaction autre que « j’aime » il faut d’abord effleurer le bouton « j’aime » pour que le panel des autres boutons de réactions s’affichent. Cette gestuelle indique que cette publication suscite sûrement un intérêt pour moi puisque je suis prêt à lui consacrer plus de temps que si j’avais simplement cliqué sur j’aime. J’ai même commencé à me positionner vis-à-vis de cette publication en choisissant un bouton de réaction plutôt qu’un autre, sans pour autant aller jusqu’à rédiger un commentaire. Selon Rob Thorning, « le menu des possibilités affectives suggère que répondre à un contenu sur Facebook se situe quelque part entre une réaction et une décision» [15].
Cet entre-deux facilite donc la récolte de données tout en les rendant plus précieuses car plus subtiles.
La dimension affective dans laquelle les boutons de réaction inscrivent nos interactions participe également à leur donner une valeur marchande. En effet, cette approche affective et majoritairement positive d’un contenu fait écho aux « valeurs euphoriques » que Barthes identifie comme composantes essentielles du « discours publicitaire »[16]. Plus encore, les boutons de réactions permettent de donner la teinte émotionnelle d’une publication voire de toute une page Facebook. Cette teinte émotionnelle permet à l’annonceur de mieux cibler l’espace dans lequel il souhaite s’afficher en identifiant celui qui correspond le plus à sa marque, mais il lui permet aussi, à l’inverse, de pouvoir adapter son contenu publicitaire au contenu d’une page. De cette façon, les boutons de réaction sont aussi moteurs de dépublicitarisation[17], c’est-à-dire qu’ils sont vecteurs d’insertion de la publicité dans un contenu par imitation de ce dernier.
L’image est donc au cœur de l’énonciation sur les réseaux sociaux et les boutons de réaction, de par leur nature picturale, intègrent cette énonciation. Plus encore, les boutons de réaction préexistent à toute publication
Enfin cette injonction à rester dans un rapport émotionnel, a finalement un impact sur notre rapport au contenu, mais aussi, par extension, au monde. Par leur design, c’est-à-dire des émoticônes qui s’inscrivent dans l’isotopie de l’affect, et par leur omniprésence, les boutons de réactions sont porteurs d’une « dimension socio-plastique »[18]. C’est-à-dire que ce sont « des formes capables d’agir sur la société et de la remodeler »[19]. Les boutons de réactions agissent sur nous, et ce par le prisme de la pathémisation.
La pathémisation est le fait de « vouloir provoquer chez l’autre un état émotionnel agréable ou désagréable »[20]. Ainsi, avec un panel d’émotions préétabli par un autre que moi-même, Facebook cadre et oriente mon affect. On ne m’invite jamais à exprimer le dégoût, ou la peur par exemple, qui sont pourtant classées comme émotions universelles par Paul Ekman[21]. Avec ce panel préétabli, on m’impose une écriture « sous contraintes ». Lorsque je déclenche un bouton de réaction, une deuxième contrainte apparaît : mon nom est associé à ce bouton. Ainsi, si je clique sur le bouton « haha », mon nom et prénom s’afficheront dès qu’un de mes « amis » effleurera ce bouton de réaction. Ici, mon individualité fusionne avec le bouton de réaction « haha », mon visage disparaît derrière l’émoticône qui illustre l’émotion que j’ai choisie. Mon ressenti, entité abstraite, subjective et personnelle, prend alors la forme d’un visage minimaliste rond et jaune, un visage virtuel pensé et façonné par les designers de Facebook. Un visage résultant d’un recensement des émotions sur le web et qui s’inscrit dans une culture, une idéologie, un business modèle ainsi qu’un système algorithmique. Mon individualité devient une donnée, ne renvoyant à aucune réalité si ce n’est celle inventée par Facebook.
Les boutons de réaction laissent alors transparaître une vérité qui semble transposable à l’ensemble des réseaux sociaux : tout ce qui s’y déroule semble de moins en moins renvoyer au monde réel, les multiples filtres, boutons, tout ce qui compose le dispositif « techno-éditorial »[22], finit par déformer et déconnecter les contenus de leur propos initial. Un phénomène qui entre en résonance avec la réflexion de Jean Baudrillard qui écrivait en 1976 : « Tout ce qui s’insère dans l’espace-temps définalisé du code ou tente d’y intervenir est déconnecté de ses propres finalités, désintégré et absorbé »[23].
[1] DELEUZE Gilles , « Spinoza, « l’Affect et l’Idée » », Vincennes, cours du 24 janvier 1978.
[2] QUENEL Nicolas, Parismatch.fr, « Selon Mark Zuckerberg « Non, Facebook ne va pas faire de bouton j’aime pas» , 16 septembre 2015.
[3] FRIER Sarah, Bloomberg.com, « Inside Facebook’s Decision to Blow Up the Like Button – Chris Cox wants to mess with Facebook’s secret sauce. », 27 janvier 2016.
[4] KRUG Sammi, About.fb.com, « Les Réactions désormais disponibles partout dans le monde », 24 février 2016.
[5] DEMONTROND Pascale et GAUDREAU Patrick, « Le concept de « flow » ou « état psychologique optimal » : état de la question appliquée au sport », in Staps, n°79, (1), Edition De Boeck Supérieur, 2008, p.9-21.
[6] FRIER Sarah, Bloomberg.com, « Inside Facebook’s Decision to Blow Up the Like Button – Chris Cox wants to mess with Facebook’s secret sauce », 27 janvier 2016. (Texte original : « We know on phones people don’t like to use keyboards, and we also know that the like button does not always let you say what you want.»)
[7] JULLIARD Virginie, « Les apports de la techno-sémiotique à l’analyse des controverses sur Twitter » in Hermès La Revue, n° 73, Paris : C.N.R.S. Editions, 2015, p.191-200
[8] JAKOSBON Roman, « Closing statements : Linguistics and Poetics », in Style in Language, T.A. Sebeok, New-York, 1960.
[9] WATZLAWICK Paul, HELMICK BEAVIN Janet et JACKSON Donal DeAvila, Une logique de la communication, Éditions du Seuil, Paris, 1967, p.45-69
[10] BOYD Danah, Danah.org, « Taken Out of Context: American Teen Sociality in Networked Publics », décembre 2008.
[11] ALLOING Camille et PIERRE Julien, Le web affectif. Une économie numérique des émotions, INA Éditions, 2017, p. 1394.
[12] HORNING Rob, Thenewinquiry.com, « Reacting to Reactions », 11 mars 2016
[13] ALLOING Camille et PIERRE Julien, op.cit., p.1245.
[14] Ibid., p.1245.
[15] HORNING Rob, Thenewinquiry.com, « Reacting to Reactions », 11 mars 2016.
[16] BARTHES Roland, « Rhétorique de l’image », in Communications, 1964, p.42
[17] PATRIN-LECLERE Valérie, MARTI DE MONTETY Caroline et BERTHELOT-GUIET Karine, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation, Le Bord de l’Eau, collection « Mondes marchands », Préface de Yves Jeanneret, 2014
[18] VIAL, Stéphane, Court traité du design, Presses universitaires de France, collection « Quadrige », Paris, 2014, p.73.
[19] Ibid.
[20] CHARAUDEAU Patrick, « La pathémisation à la télévision comme stratégie d’authenticité » in Les émotions dans les interactions, Presses universitaires de Lyon, 2000.
[21] EKMAN Paul « Expression and nature of emotion. », éditions K. SCHERER & P. EKMAN, 1984, p.319-343.
[22] JULLIARD Virginie, « Les apports de la techno-sémiotique à l’analyse des controverses sur Twitter » in Hermès La Revue, n° 73, Paris : C.N.R.S. Editions, 2015, p.191-200.
[23] BAUDRILLARD Jean, L’échange symbolique et la mort, Gallimard, Collection Bibliothèque des Sciences humaines, 1976.