Le CNC et le jeu vidéo
Deux dispositifs du CNC soutiennent le secteur vidéoludique depuis 2008: un crédit d’impôt et un fonds d’aide. L’année 2017 a marqué un renforcement majeur du soutien au secteur avec notamment le passage du taux du crédit d’impôt à 30%, ce qui en fait l’un des dispositif de soutien les plus compétitifs au monde. Le Fonds d’aide au Jeu Vidéo quant à lui investit entre 3 et 4 millions d’euros chaque année dans une quarantaine de projets.
En l’espace de trente ans, le jeu vidéo est devenu la première industrie culturelle mondiale, loin devant le cinéma et la musique, représentant un chiffre d’affaires de 100 milliards d’euros. Frédérique Bredin, présidente du CNC, rappelle ces chiffres, appuyant la légitimité économique du jeu vidéo qui n’est plus à contester. Elle précise que 70 % des Français jouent aux jeux vidéo, et qu’en 2020, le cap des 4 milliards de joueurs devrait être dépassé.
S’il est nécessaire de s’interroger sur la place du jeu vidéo dans la société, c’est qu’il occupe une place majeure et que ses usages se sont multipliés. Dans le cadre familial, les joueurs de la première génération sont maintenant parents et usent du jeu vidéo pour créer un lien avec leur enfant. A l’école, les jeux peuvent être des supports pédagogiques pour des élèves qui présentent des difficultés à apprendre avec les méthodes traditionnelles. Frédérique Bredin rappelle que le jeu Sim City permet, au collège, d’apprendre la géographie et l’espace urbain. A l’hôpital Necker, un service utilise les jeux pour traiter les enfants autistes, témoignant de leur utilité médicale.
Le jeu vidéo, un ancien paria
Pour lancer le débat, Jean Zeid mentionne la longue marche qu’a connue le jeu vidéo jusqu’à son acceptation sociale. Si la ministre de la culture actuelle a affirmé que le jeu vidéo était « un vrai élément de notre culture en France », il rappelle que cela n’a pas toujours été si évident…
Il projette un reportage édifiant de 1979, s’inquiétant de la popularité du jeu Golden Invaders à Tokyo. Le journaliste de l’époque expose ce « fléau national », rapportant des cas d’enfants qui volent leurs parents pour jouer, des mineurs poussés à la prostitution… Jean Zeid rappelle en effet que les champs lexicaux accolés à celui du jeu vidéo ont longtemps été ceux de la drogue, de l’alcool, de l’isolement et de la psychose.
En 2017, les temps ont bien changé. Dans une intervention vidéo, Juliette Noureddine, présidente du fonds d’aide au jeu vidéo du CNC, dit concevoir le jeu vidéo comme une nouvelle manière d’être en contact avec autrui. Il s’est adapté à l’évolution des rapports humains qui se font à distance. Le jeu, lui aussi, est aujourd’hui en réseau : on s’y fait des amis, parfois proches. Les manifestations d’e-sport, en plein développement, favorisent également le partage social. Plus encore, elle envisage le jeu vidéo comme une catharsis, permettant de mieux vivre avec soi-même, première étape essentielle pour le vivre-ensemble. Au même titre que la famille, la littérature ou le cinéma, le jeu vidéo aide à se construire et est une des composantes majeures de notre culture.
Le Japon envahi par le jeu vidéo Space Invaders – 1979
Un moteur d’ouverture aux autres ?
Pour Oscar Barda, l’ouverture aux autres est plutôt synonyme de jeu que de jeu vidéo. Tout jeu est en capacité d’être le médiateur d’une conversation entre deux personnes, conversation qui se fait d’ailleurs souvent sans mot. Qu’il soit le lieu d’une compétition ou d’une collaboration, il crée du lien, indéniablement. Le jeu vidéo, en cela, est héritier du jeu traditionnel.
Le jeu vidéo est cependant un lieu de rencontre particulier. Partant de son expérience personnelle, Kayane raconte s’être fait ses premiers amis en ligne à l’âge de 9 ans. On peut même y vivre des relations amoureuses, s’amuse Oscar Barda. Il cite Fanny Ardant, qui disait ne pas perdre son temps en lisant, mais au contraire, en gagner. Il transpose cette pensée au jeu vidéo : on y vit, selon lui, des « bouts de vie ».
De plus, le jeu vidéo fédère des communautés larges, qu’elles se retrouvent autour d’un stream ou bien lors d’une compétition d’e-sport. L’échange avec les joueurs constitue un pan majeur de l’activité de MisterMV : ceux qui le regardent jouer se retrouvent pour partager un moment de divertissement. Oscar Barda, lui, compare l’e-sport à une représentation de théâtre, car le public y ressentirait les mêmes plaisirs : le sentiment qu’ont les spectateurs d’un match de League of Legends, omniscients, quand ils voient leur équipe filer dans un guet-apens, serait similaire à celui que ressent le public de la pièce Œdipe quand, impuissant, il voit le héros suivre son destin tragique. Le jeu-vidéo ne supplante cependant pas les autres modes de présence aux autres, précise Oscar Barda : il crée une nouvelle forme de socialisation.
Quand le jeu fait le bien
MisterMV revient ensuite sur le marathon gaming caritatif « ZEvent » organisé pour lever des fonds à destination des sinistrés d’Irma, en septembre 2017. Pendant trois jours, une trentaine de streamers ont diffusé leurs performances en direct sur leurs chaînes Twitch. Organisé par la Croix Rouge, ce marathon a permis de récolter 450 000 euros. Une première en France !
Quid des valeurs véhiculées par le jeu vidéo ? Selon Kayane, ces dernières se rapprochent de celles du sport : sa pratique lui a appris la rigueur et la détermination. Et selon elle, la communauté de joueurs est surtout caractérisée par l’entraide et l’accueil. Elle rejoint cependant l’avis d’Oscar Barda selon lequel le jeu vidéo ne véhicule, en soi, aucune valeur. Comme n’importe quel média, il peut « faire des horreurs comme des merveilles ».
Un art qui ouvre à d’autres
Pour conclure cette table ronde, Jean Zeid demande si le jeu vidéo invite à parcourir d’autres cultures et d’autres formes d’art. La réponse des trois intervenants est positive, sans équivoque.
Quant à savoir si le jeu vidéo est un art… la question restera toujours ouverte selon Oscar Barda. Selon lui, il n’y a rien qui ne puisse être appelé « art », dans un contexte propice. Sauf à faire des définitions exclusives, on ne peut pas exclure le jeu vidéo de l’art car on ne peut l’exclure des activités créatrices humaines. Kayane rappelle de son côté que le jeu vidéo est une des rares créations humaines qui permettent de rassembler autant d’arts, justement, de la musique, à la création graphique… Certains jeux, comme Beyond Two Souls, font même directement appel à des acteurs de cinéma.
Seuls 7% de la population française considèrent que le jeu vidéo est un bien culturel, rappelle Jean Zeid, citant l’étude « Les représentations de la culture dans la population français » commandée par le ministère de la culture et parue le 9 septembre 2016. C’est mieux que la téléréalité à 5%, mais moins bien que la chasse et la pêche, à 15%. A quand le jeu vidéo reconnu comme art au même titre que la danse ou le cinéma ?