Adapter des contenus pour faire face au bousculement de la chaîne de valeur
Pour Antoine Boilley, cette crise touche l’ensemble de la chaîne de valeur : les ressources humaines d’une part, et d’autre part « la gestion des antennes, les unités de programmes, la gestion des outils de production et la gestion des équipes ». La production de contenus a fortement été impactée et a nécessité une adaptation importante de la part des éditeurs. À l’image de Météo à la carte sur France 3, des émissions quotidiennes ont dû être réalisées à domicile. D’autres programmes comme Koh Lanta sur TF1 ont été raccourcis et redécoupés, afin d’être programmés sur plus de semaines que prévu. Mais cela n’a pas suffi à remplir les grilles. Pour pallier ce déficit, Laurence Bloch et ses équipes ont dû rediffuser des programmes « de fond » tels que les entretiens littéraires, les documentaires ou les émissions d’histoire. France Télévisions a fait de même avec la diffusion de films l’après-midi, ou la reprogrammation de jeux déjà diffusés, n’étant « plus en possibilité de faire des enregistrements, même sans public ». Les médias ont dû également faire face à l’annulation de nombreux événements, culturels ou sportifs. C’est le cas de RMC Sport, « média pour lequel il a fallu repenser toute la production de contenus faute d’actualité sportive », explique Stéphane Fiocchi. Ces annulations et reports d’événements obligent par ailleurs à revoir la stratégie des chaînes sur un plus long terme, par exemple avec le report du Tour de France à la fin du mois d’août qui empiétera sur les dates de diffusion du tournoi de Roland Garros. La presse est elle aussi touchée, d’autant plus que c’est sa diffusion même qui est menacée. Arnaud Le Gal aux Échos explique que son entreprise fait face « à de profonds bouleversements de consommation de son public et à une disruption de l’un de ses canaux de distribution (vente en kiosques) ; elle est contrainte de s’adapter à une conjoncture économique difficile, avec là encore un caractère exceptionnel ».
Reste que dans une telle période, les médias peuvent également être force de propositions. En s’assurant de la continuité de leurs services, ils adaptent la nature même de leurs contenus pour répondre à cette situation inédite. Arnaud le Gal confirme ainsi que Les Échos avait « déjà renforcé l’offre d’information en ligne avant le début du confinement, pour couvrir au mieux les diverses dimensions de cette actualité exceptionnelle, tant par son intensité que par sa complexité ». L’information reste le premier champ de bataille des médias pour accompagner les Français, les tranches d’information ont donc été allongées de manière presque systématique.
La prise de recul est un élément important pour analyser et décrypter l’abondance des nouvelles sur la pandémie. Dans cette logique de décryptage, France Télévisions a cherché à apporter un éclairage structurant en multipliant les angles d’analyse, que ce soit à l’international, d’un point de vue social ou encore économique. Depuis le début de la crise sanitaire, lors de l’édition du soir du journal télévisé de France 2, un jeu quotidien de questions / réponses s’est instauré entre un intervenant spécialisé et les téléspectateurs, révélant ainsi l’importance de maintenir un lien direct avec les publics afin de les rassurer et de les accompagner. Les antennes de Radio France se sont également mobilisées pour maintenir ce lien avec leurs auditeurs, comme l’illustre Laurence Bloch avec ces propos : « La décision a été prise de favoriser l’interactivité sur toutes les tranches réalisées en direct, avec notamment « Le téléphone sonne XXL » , pour créer un grand rendez-vous d’accompagnement, de dialogue et d’échanges avec des conseils en tous genres et des invités de tout bord ».
De plus, le service public s’est véritablement mobilisé pour aider les élèves et leurs parents durant le confinement. Si la culture et l’éducation font partie de leurs missions prioritaires, les dispositifs mis en place sont particulièrement innovants et illustrent cette qualité d’adaptation des chaînes. Les équipes de la plateforme Lumni, lancée en novembre 2019, se sont adaptées à la crise en offrant des cours aux élèves du primaire au lycée, disponibles sur la plateforme mais également diffusés sur la chaîne France 4, aux côtés du magazine La Maison Lumni. La chaîne du groupe, menacée d’une disparition programmée, s’est mobilisée dans le cadre de la mission « Nation apprenante » du Ministère de l’Éducation.
Antoine Boilley insiste enfin sur l’importance d’offrir aux Français confinés la possibilité de se divertir et de s’évader, grâce à la diffusion de films patrimoniaux et du renforcement de l’offre théâtrale sur les antennes. Mais en période de confinement, il est également nécessaire de maintenir la programmation de soirées spéciales comme celle du documentaire anniversaire de l’incendie de Notre-Dame de Paris, afin de traiter de sujets différents que celui de la crise sanitaire. « Informer et décrypter, accompagner les élèves et les parents et donner la possibilité aux Français de se divertir » sont les trois piliers sur lesquels le service public s’est appuyé pendant la crise selon le secrétaire général des antennes, témoignant d’une forte adaptation des contenus et de la stratégie des médias français.