S’il y a bien un secteur chamboulé par Internet et les réseaux sociaux, c’est celui de la production musicale. Depuis l’arrivée des pureplayers et artistes indépendants, certains entendraient presque le chant du cygne des grands groupes… Cependant, ces derniers font marcher au pas le reste du secteur, au grand dam des amateurs de musique indépendante. Nous sommes allés à la rencontre d’un de ces labels, pour en savoir plus sur sa stratégie en ligne et ses défis.
Un marché en gamme major
Le marché se partage en deux : 70 % du chiffre d’affaires va à trois grands groupes, Sony Music, Warner Music Group et Universal Music Group, le reste va aux labels et artistes indépendants. La part liée au numérique est de plus en plus grandissante, presque la moitié en 2017.
À taille humaine, ces entreprises proposent une valeur ajoutée significative : passer le micro à des artistes en mettant sur le devant de la scène des genres de niche.
Les grands groupes détiennent malgré tout un outil de taille face aux labels indépendants : une relation privilégiée avec les réseaux sociaux. Les majors de la musique ont une utilisation accrue de ces outils : présence sur tous les réseaux disponibles, transversalité du marketing, publicité ciblée et utilisation d’influenceurs. De même, les réseaux sociaux veulent accueillir ces marques fédératrices et engageantes. Par exemple, la popularité des chaînes Vevo sur YouTube, dont la composante la plus populaire reste YouTube Music, avec ses 120 millions d’abonnés.
Face à ces chiffres se dresse une réalité : malgré des moyens similaires de communication, les grands groupes de production supplantent les labels indépendants du fait de leur connaissance et de leur investissement dans les réseaux sociaux.
Comment surfer sur la vague de l’indépendance ?
Joseph Mercier, aussi connu sous le nom de the 80s Guy, a fait des études à l’ESEC (École supérieure d’études cinématographiques), en spécialisation en montage pendant 3 ans. Maintenant freelance, il gère deux chaînes YouTube (The 80s Guy et EBSM Channel) ainsi que le label indépendant Burning Owl Records, spécialisé dans le genre synthwave. Présent uniquement sur Internet avec un public concentré aux États-Unis, en Europe de l’Ouest et en Asie, il représente actuellement 6 artistes pour une trentaine de titres.
Lexique
Synthwave : musique électronique mettant en avant les sons synthétiques renvoyant aux années 80 et à un esthétique rétro, cyberpunk ou futuriste
Pureplayer : expression anglophone catégorisant les entreprises exerçant uniquement en ligne
Comment as-tu lancé ton label, Burning Owl Records ?
J’ai eu l’idée en juillet 2016, quand mon ami musicien Reno a voulu sortir un titre inédit (un EP) et qu’il n’avait personne pour le représenter. Je lance l’artiste et le label en février 2017, officiellement. Je souhaitais créer un label avec une identité propre, pas comme les labels hyper clichés qui enferment dans un style trop particulier… comme le nom de ma chaîne, connoté années 80.
Les artistes peuvent travailler avec d’autres personnes s’ils veulent, comme je peux promouvoir d’autres styles de musique de mon côté. Je ne suis pas un maniaque ou un bureaucrate ! Si on a envie de faire un projet, on le fait et puis voilà. Certains des artistes sont même des amis, je les contacte souvent. Pour d’autres artistes, je les contacte par différents réseaux, pour me tenir au courant de leurs sorties et les tenir au courant de mes ventes.
Comment gère-t-on un label indépendant de niche ?
J’essaie de communiquer sur les sorties mais malgré l’augmentation du suivi sur les réseaux sociaux, le nombre de ventes n’augmente pas forcément. Il y a toujours un aspect de frustration, un sentiment d’avancer sans que ça aille dans le sens attendu. On se dit que si un genre musical meurt, il faut trouver la prochaine tendance et se lancer dessus à la place. Je ne me compare pas aux autres labels de mon gabarit en général, je sais que certains ont une meilleure réputation que d’autres, souvent de ce que les artistes en disent. Mais en rétrospective, j’aurais dû choisir un nom de label et de chaine plus proche, pour que les recherches Google puissent afficher les deux. Je fais ma diffusion sur plusieurs sites : Bandcamp et iTunes, où ont lieu les ventes en ligne, Soundcloud, Spotify et YouTube pour la diffusion gratuite.
J’ai plusieurs plages horaires de diffusion : d’abord aux États-Unis vers 2 heures du matin (30% du public total), puis 10h pour les pays asiatiques et puis en Europe vers 18h (30-40%).
Quelle connaissance du public as-tu ?
Sept vidéos représentent la moitié de mes vues totales : 5 sont des montages inédits et 2 sont sans clip. C’est difficile de savoir si les abonnés sont là pour du montage ou de la musique, ce n’est pas forcément évident. J’ai rarement de correspondances entre les tendances et mes contenus, qui pourraient expliquer les pics de vue. Une de mes meilleures découverte, c’était sur la période de mai à décembre 2017. Il y a eu une vraie hausse de vue qui correspondait en fait à l’arrivée de Donald Trump au pouvoir ! Le clip que j’ai fait utilisait un film où l’Allemagne nazie a gagné et prenait alors le contrôle du Japon, avec des images de révoltes assez violemment réprimées…et à partir du moment où il y a eu l’investiture de Trump, on a enregistré bien plus de vues et de commentaires. Ces temps-ci, il y a des commentaires sur l’élection de Bolsonaro au Brésil !
Je sais par contre que le genre du synthwave a eu un pic il y a 2 ans (Stranger Things, Kung Fury) et que ceux qui se lancent maintenant font des choses trop simples pour ne pas être lassant, donc le public ne suit pas. Seuls les gros artistes restent, et encore, les artistes emblématiques du genre commencent à dériver vers des genres plus abordable (métal, clubbing).