La sexualité à l’épreuve de la régulation
Quel(s) visage(s) la télévision donne-t-elle au sexe ?
Depuis 1986,le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel s’est vu confier une tâche de régulation afin, notamment, de limiter l’exposition d’un jeune public à des programmes nuisant à leur développement personnel. L’augmentation du nombre de contenus télévisuels a entraîné une multiplication des discours traitant de sexualité à la télévision. Michel Foucault souligne ainsi dans La Volonté du Savoir(1) que ce phénomène de multiplication est accompagné d’un ensemble d’interdits et de prohibitions.
La régulation se traduit par une classification qui définit clairement les types de contenus exprimant ou représentant la sexualité : les programmes évocateurs de la sexualité (catégorie III), les films érotiques (catégorie IV) et les films pornographiques (catégorie V). Ces programmes, compte tenu de cette classification, sont soumis à des impératifs de programmation. Par exemple, le téléfilm érotique Les Vierges se Déchaînent(2) a été programmé à 23h40 du fait de son caractère « sensuel » explicite : il est classifié comme un programme de catégorie IV et est déconseillé aux moins de 16 ans.
Une appréciation subjective de la sexualité à la télévision
Le CSA applique ces critères au cas par cas et, pour les séries, épisode par épisode. Il semble toutefois compliqué de définir un cadre régulatoire unique et objectif à la sexualité tant celle-ci se retrouve dans de multiples formes à la télévision, de l’acte sexuel explicite dans les films érotiques jusqu’à l’attitude séductrice d’un présentateur. « Ce qui donne son caractère sexuel à un objet relève souvent du subjectif »(3), c’est pourquoi la catégorisation opérée reste large pour permettre une meilleure appréciation des contenus par le public. Le non-dit peut échapper à ce cadre défini par le CSA, comme le montre l’exemple des Anges de la Téléréalité diffusé sur NRJ12(4). Cette émission a fait de la sexualité son fil rouge narratif, par la représentation d’histoires amoureuses entre les candidats. Pourtant, ne pas mettre en scène d’acte sexuel et censurer les insultes à caractère sexuel permet de l’inscrire dans la classification « déconseillé aux moins de 10 ans ».
Une régulation marquée par des considérations de genre
La régulation de la sexualité est circonscrite à l’image visible à l’écran et à ses marqueurs explicites : nudité, insultes, coït sont classifiés et régulés par le CSA. Par ailleurs, une circonscription de l’action du CSA concerne la notion de « diversité de la société française », incluant de fait des considérations de genre. La classification, par sa formulation,n’est en soit pas genrée puisque les individus y sont définis comme « personne humaine » et non comme « femme » ou « homme ». Cependant en pratique, celle-ci opère une différence de traitement selon les genres. Un exemple concret est celui de la nudité puisqu’à la télévision une poitrine masculine n’est que rarement censurée, tandis qu’une poitrine féminine est floutée quasi-systématiquement. La régulation opérée se concentre sur les représentations d’une sexualité hétérosexuelle et encore peu sur les diversités de représentation. Bien que l’espace médiatique a fait une plus grande place aux différentes représentations du genre(5), avec une apparition à la télévision des personnes homosexuelles, transgenres ou encore transexuelles, la question de ces sexualités reste encore peu traitée. Par exemple, sur l’ensemble des films érotiques diffusés sur CSTAR au mois de septembre 2018, aucun ne représentait d’individu transgenre ou de couple homosexuel masculin.
In fine, cette classification circonscrit la sexualité : elle encadre et régule une représentation d’une sexualité « visible », dite hétéronormative (popularisée par Michael Warner(6)ou encore Gayle Rubin(7),il s’agit de la croyance selon laquelle tous les individus appartiennent à un des deux genres distincts et complémentaires, homme et femme, et qui considère que les relations sexuelles et conjugales sont uniquement faites pour des personnes de sexe opposé). Autrement dit, cette classification sanctionne des sexualités dites « invisibles » correspondant à celle des minorités sexuelles. L’enjeu d’une régulation pourrait pourtant être de favoriser la diversité des représentations sexuelles.
(1) Michel Foucault, Histoire de la sexualité, tome 1 : La Volonté de savoir, Poche – 1 janvier 1994, p.71
(2) Film érotique diffusé sur CSTAR le dimanche 21 Octobre 2018.
(3) Effeuillage n°4, dossier Sexe et Médias, p.32
(4) Emission de télé-réalité diffusée sur NRJ 12 depuis 2011 comptant plus de 576 épisodes.
(5) Maud-Yeuse Thomas, Karine Espineira, Arnaud Alessandrin. La Transyclopédie : tout savoir sur les transidentités. Des ailes sur un tracteur, 350 p., 2012.
(6) Michael Warner, Fear of a Queer Planet: Queer Politics and Social Theory, Minneapolis: University of Minnesota Press, 1993.
(7) Gayle Rubin, “Thinking Sex: Notes for a Radical Theory of the Politics of Sexuality”, 1984.