
Comment certains médias parviennent-ils à informer les jeunes ?
Nous observons aujourd’hui une réelle volonté des entreprises médiatiques d’informer les jeunes générations par des moyens qui s’adaptent à leurs usages, ce qui fait émerger de nouveaux médias tels que des messageries instantanées ou robots conversationnels. Cela semble également impacter les stratégies marketing de médias plus traditionnels qui se saisissent des réseaux sociaux s’adressant à des publics très jeunes dans l’objectif de se créer une image de marque fun et dynamique et de fidéliser de nouvelles personnes dès le plus jeune âge.
« JAM c’est comme un ami, il a un point de vue qu’il porte, mais il n’est pas là pour convaincre » – Marjolaine Grondin
Lors du festival Médias en Seine du mardi 8 octobre 2019 à Paris, les Effeuilleurs ont assisté à diverses conférences, dont une dédiée à la manière dont les jeunes s’informent au quotidien.
Marjolaine Grondin, cofondatrice et CEO de la société HelloJam fondée en 2015, était l’une des intervenantes du festival Médias en Seine. Elle est venue présenter JAM, un média interactif et conversationnel sur Messenger, l’application de messagerie instantanée de Facebook. Il s’agit d’un robot français s’adressant aux 15-25 ans dont la promesse est d’être le premier média avec lequel il est possible de parler et dont l’objectif est d’aider à se forger un avis sur les enjeux de société importants en posant chaque jour une question sur un sujet d’actualité. À la suite de cette question d’actualité, JAM affiche un sondage indiquant les réponses des autres participants, puis propose 4 ou 5 articles d’autres médias reconnus afin de permettre aux répondants d’étendre leurs connaissances sur le sujet et de se faire leur propre opinion.
« Le média écrit n’a pas perdu ses lettres de noblesse, il suffit juste de le réinventer » – Marjolaine Grondin
Ce robot conversationnel compte aujourd’hui 600 000 utilisateurs, dont 150 000 utilisateurs quotidiens, ce qui permet à des marques d’avoir accès à un réservoir de données important grâce à la collecte d’insights (perception d’un ou plusieurs individus) via les sondages et diverses questions posées quotidiennement expliquait Marjolaine Grondin. Le ton adopté est assez informel, le robot tutoie son interlocuteur, utilise moult emojis et adapte son discours au langage propre de sa jeune audience. Pour la cofondatrice de JAM, « le média écrit n’a pas perdu ses lettres de noblesse, il suffit juste de le réinventer ». La personnalité du robot a ainsi été pensée pour s’adresser à un public jeune, cependant Marjolaine Grondin confie que 10% des utilisateurs sont des hommes et des femmes de plus de 50 ans. Le ratio texte/image avec JAM est le même que lors d’une conversation sur Messenger avec un ami, à savoir 70% de texte écrit et 30% d’images, vidéos ou gifs, ce qui permet au robot d’adopter les codes d’une conversation type sur Messenger.
Table Ronde Médias en Seine – Messageries, Chatbots, Stories… Comment les jeunes s’informent-ils ?
Abèdjè Sinatou Saka, journaliste et chef de projet éditorial chez France Médias Monde, était également présente à cette deuxième saison du festival Médias en Seine afin de parler des actions de RFI (Radio France Internationale) sur le continent africain. A l’instar de JAM, RFI s’adresse également à un public jeune, mais cela est dû à une différence culturelle de taille : la moyenne d’âge sur le continent africain est de 19 ans, contre 41 en France et 38 aux Etats-Unis d’Amérique. Ce jeune public est, de plus, mobile et utilise beaucoup l’application de messagerie instantanée WhatsApp qui représente pour lui, d’après Abèdjè Sinatou Saka, le premier lien avec internet. RFI a donc créé des contenus interactifs et synthétiques qui sont, en fait, des récapitulatifs de l’actualité, suivis par plus de 20 000 abonnés chaque jour.
« Il y a énormément de fake news qui circulent sur WhatsApp, nous travaillons donc beaucoup sur du one-to-one et fournissons un Fact Checking » – Abèdjè Sinatou Saka
Un partage d’information s’opère entre les rédacteurs de ces contenus et leurs abonnés, qui est notamment rendu possible par l’interface utilisée. En effet, elle permet aux abonnés de demander à RFI de vérifier des informations qu’ils ont eues par d’autres conversations grâce à la simple utilisation de la fonction « transférer un message ». Cela permet aux abonnés d’envoyer ce qu’ils pensent être une fake news/Infox aux correspondants de RFI qui, une fois les vérifications d’information nécessaires réalisées, leur répondent personnellement. « Il y a énormément de fake news qui circulent sur WhatsApp, nous travaillons donc beaucoup sur du one-to-one et fournissons un Fact Checking » expliquait Abèdjè Sinatou Saka à ce titre. Une autre spécificité due à l’utilisation de l’application WhatsApp pour s’informer est que les contenus envoyés par RFI Afrique sont essentiellement du texte et des images. Peu de vidéos sont envoyées car les forfaits proposés sur le continent africain proposent en général peu de données mobiles. RFI cherche ainsi principalement à renvoyer ses lecteurs les plus intéressés sur son site internet pour davantage de contenu. Les spécificités communes de JAM et de RFI Afrique pour informer leur cible sont donc de proposer du contenu synthétique, ponctuel et interactif afin de capter l’attention parfois très volatile de cette jeune génération.
« La radio n’est pas morte, elle est très présente sur les trajets quotidiens domicile/travail/école » – Nourredine Zidane
Les médias traditionnels ne sont pas en reste, à l’image de la radio qui continue de séduire les jeunes. Emmanuelle Le Goff, Directrice du département Radio de Médiamétrie a communiqué en janvier 2019 les résultats de l’étude réalisée par cet institut de mesure d’audience :
des auditeurs français ont moins de 35 ans, ce qui représente 85,3% de la population des 13-34 ans
est la durée d’écoute moyenne par jour et par auditeur en 2018
des 13-34 ans écoutent la radio pour la musique
Nourredine Zidane, rédacteur en chef de la radio Mouv’ et présent au festival Médias en Seine, confirme la forte présence de la radio chez les jeunes, qui l’écoutent principalement dans la voiture avec leurs parents sur les trajets quotidiens domicile/travail/école. Mouv’ est une radio du réseau Radio France, centrée sur les cultures urbaines, le hip-hop et la musique électronique et est justement à destination du jeune public. Depuis maintenant 2 saisons, les rédactions de cette radio ont décidé d’adapter des flash infos dans leurs stories sur Instagram, telles que des informations sur l’actualité du hiphop, et des contenus tels que « la phrase du jour » ou « l’événement du jour ». Il s’agit ici d’une sélection d’informations diffusées à l’antenne, ce qui permet une certaine continuité et cohérence entre le média traditionnel qu’est la radio et le média social Instagram comme l’expliquait Nourredine Zidane. Alors que le compte Instagram comptabilise aujourd’hui presque 160 000 abonnés, le réseau social Snapchat a lui aussi été mobilisé par Mouv’, notamment pour des jeux concours, ce qui a permis à la radio d’atteindre rapidement 3 000 abonnés Snapchat lors de son lancement.
Les jeunes s’informent avec de nouveaux médias
Mais qu’en est-il de la presse ? Certains médias américains ont fait le pari de TikTok, à l’instar du Washington Post ou de NBC News, afin de s’adresser à un public plus jeune. TikTok, l’application la plus téléchargée en 2018, est une plate-forme de médias sociaux chinoise qui permet de créer, partager et de découvrir de courts clips musicaux. Elle comptabilise aujourd’hui plus de 500 millions utilisateurs mensuels (dont 4 millions en France) et est essentiellement utilisée par un public jeune comme un moyen de s’exprimer par le chant, la danse ou encore la comédie. Aux Etats-Unis d’Amérique, 60% des utilisateurs actifs ont entre 16 et 24 ans (source : GlobalWebIndex, 2019). Afin d’intéresser cette audience très jeune, l’angle d’approche de ces médias traditionnels diffère donc sensiblement de celui qu’ils adoptent avec leur audience plus âgée. Là où le Washington Post (149 800 abonnés) choisit de mettre en scène ses journalistes avec parfois un exemplaire de leur journal, NBC News propose sur son compte « Stay Tuned NBC » (139 200 abonnés) des vidéos d’une quinzaine de secondes, qui reviennent sur l’actualité. L’objectif semble de sensibiliser à l’actualité dès le plus jeune âge, mais il est possible d’imaginer qu’une réelle stratégie marketing se cache derrière ses initiatives. En effet, par cette logique d’abonnement que permet un réseau social tel que TikTok, ces médias traditionnels commencent à fidéliser une jeune audience afin de potentiellement les compter parmi leurs lecteurs une fois qu’ils grandiront, grâce notamment à l’image fun et dynamique qu’ils auront laissée dans leur esprit.
Par exemple, afin d’expliquer le concept de Deep Fake et d’intelligence artificielle, NBC News s’est appuyé sur une animation effectuée par L’Institut des sciences et de la technologie de Skolkovo (Moscou) qui donne vie à Mona Lisa (cliquez ici pour voir la vidéo). Cette vidéo se présente sous la forme d’un écran séparé en deux par une ligne horizontale. Sur l’écran du haut, nous voyons une vidéo du célèbre tableau de Léonard de Vinci s’animer et parler à la manière des tableaux de Poudlard, tandis que sur l’écran du bas nous voyons une comédienne/journaliste expliquer de manière simple ce concept, avec quelques blagues afin de capter l’attention de ce jeune public.
Alors que les médias traditionnels d’information se saisissent des réseaux sociaux très plébiscités par les jeunes afin d’accroître leur audience, de nouveaux médias émergent et font le choix de ne proposer du contenu sur l’actualité qu’à cette jeune génération de manière personnalisée.