Ecrit d’Arthur Dreyfus
Le mot communication est un mot ambigu.
Dans son acception commerciale, il peut-être très laid.
Dans son sens pur, il définit notre humanité.
Non, je me trompe déjà – l’humanité ne se contente pas de communiquer. Les ordinateurs communiquent, tout comme les animaux, les baleines s’envoient des signaux sous l’océan, les abeilles dansent au-dessus des ruches, tout cela produit des effets : action/réaction.
Mais les humains, eux, ont un langage. Soit le contraire d’un signal.
Car le langage vient dire l’espace [entre chaque bip].
Le mot entre chaque ligne.
entre chaque ligne
La vérité, entre chaque vingt-quatrième d’image gravée sur pellicule.
Marshall McLuhan écrivit fameusement : On ne peut pas ne pas communiquer.
[Et avec quelle cruauté sa devise me fut rappelée lorsque j’attendais un texto amoureux.]
Mais la communication, donc. Il paraît que ça s’enseigne.
Les Américains le croient : dans ce vaste pays, chacun sait prendre la parole.
À l’école, on apprend à n’avoir pas honte de se démarquer, de s’exprimer devant une foule. Moyennant quoi celui qui parle le plus fort peut devenir Président.
Pourtant il ne suffit guère de parler fort, de parler « bien », ou de n’avoir pas honte pour au sens propre communiquer.
Revenons au latin : communicare – être en relation avec.
Revenons à Lacan : « La vérité, on ne peut pas la dire. La vérité, elle est toujours mi-dite. »
Voilà : si par communiquer, on entend transmettre une vérité de soi à l’autre qui nous écoute, alors c’est à la fois très facile… et très difficile.
Stop. Pourquoi je digresse sur tout ça ?
Sans doute parce que « tout ça », c’est la brume que je garde du Celsa.
Théorie du signal: on intègre des école pour leurs diplômes, on cherche une validation sociale, mais tout ce qu’on apprend dans ces écoles s’évapore. [Pas faux.]
Mais malgré tout : la brume.
Grâce aux professeurs qu’on rencontre, une teinte, une tonalité, un espace auparavant vacant éclot quelquefois. C’est ce qui m’arriva au Celsa.
Je veux dire : cette brume qui flotte, et m’engage désormais à toujours me demander qui parle et pourquoi – d’où – vers où – dans quel contexte –, je la dois à cette école.
J’imagine que dans les autres écoles de « com’ », on apprend à « communiquer ».
C’est-à-dire : à vendre plus de yaourts.
Au Celsa, j’ai appris à réfuter le mot communiquer.
À le disséquer – à ne jamais oublier de me poser la question de la subjectivité.
Qui est d’ailleurs la question de l’écriture.
Ou de la littérature, si l’on veut ajouter une pointe de marketing.
À ce titre, une dernière chose : quand je suis arrivé au Celsa, je ne savais pas ce que je voulais « faire de ma vie ». J’aimais écrire, sans penser devenir un spécialiste de l’écriture.
Or à l’époque (c’est peut-être encore le cas), les élèves de première année devaient écrire une nouvelle dans le cadre d’un atelier.
Je me sentais aisément créatif, j’ai écrit ma nouvelle sans crainte.
J’ai obtenu une bonne note, voilà, basta.
Mais quelques jours plus tard, punaisée sur les panneaux de liège du hall, j’ai aperçu une affiche pour le Prix du Jeune Écrivain. La mienne était rédigée, je l’ai envoyée.
Quelques mois plus tard, j’obtenais le premier prix.
Ce prix m’a donné l’idée de devenir écrivain.
À partir de là, ma vie à changé.
Je n’ai jamais brandi mon diplôme du Celsa.
Je n’ai jamais gagné un centime d’euro grâce à ce diplôme.
Mais ce hasard me fait frémir lorsque j’imagine avoir pu passer à côté de cette affiche, ou de cette brume qui flotte encore à côté du mot Celsa.
Crédit photo : Hélène Bamberger/P.O.L