Le secteur des médias est aujourd’hui en crise (1) du fait du déploiement des médias sur Internet et des difficultés rencontrées sur le marché publicitaire. Les entreprises médiatiques ont de plus en plus recours aux techniques émanant du marketing pour assurer leur pérennité. La fonction sociale dévolue aux médias n’étant dorénavant plus une garantie économique en elle-même, les médias sont de plus en plus contraints de se promouvoir en tant que marque pour exister aux yeux de leur audience et en tant que support pour se valoriser auprès des annonceurs. C’est dans ce cadre que les responsables des médias en viennent à porter une attention accrue sur la mesure des leviers d’identification et de reconnaissance, que l’on nomme « attribution ».
UNE RECONNAISSANCE D’AUCTORIALITÉ
On peut définir l’attribution comme l’action de reconnaître l’auctorialité d’un énoncé à un énonciateur. En littérature, il s’agit d’attribuer une œuvre à son auteur. La signature, le style, les références utilisées sont autant de moyens d’identification. La notion d’attribution est communément utilisée dans le domaine du marketing publicitaire, comme étant l’association faite par les consommateurs entre les marques et leurs moyens d’expression (publicité, packaging, etc.). L’attribution à la marque se mesure en montrant un canevas de messages aux individus testés et en calculant un taux d’attribution à partir des bonnes réponses dans le cadre de post-tests publicitaires.
LES ENJEUX DE L’ATTRIBUTION POUR LES MÉDIAS
Les médias possèdent des leviers d’identification et de reconnaissance semblables à ceux des marques non médiatiques. Ces attributs communs entre les marques et les médias sont d’une part une identité visuelle (nom, charte graphique, logo…), qui relève de la valeur symbolique et participe à la construction d’un imaginaire, et d’autre part, la notoriété. L’attribution est variable selon le média et ses stratégies. Sa mesure est relative à l’audience (2) qui par nature est difficile à définir.
Si l’attribution à la marque vise exclusivement les consommateurs dont l’objectif final est principalement commercial, les leviers de reconnaissance et d’identification développés par les médias relèvent d’une double attribution. En effet, la stratégie marketing d’un média vise d’un côté les acheteurs d’espaces publicitaires et de l’autre les lecteurs/téléspectateurs/auditeurs.
Du point de vue de l’annonceur, un média est attribuable selon sa notoriété et sa cible. Les régies publicitaires (plus particulièrement les équipes marketing) élaborent des argumentaires de vente destinés aux annonceurs en se basant sur les données chiffrées des études d’audience (Médiamétrie, One Global et l’ACPM). Il s’agit ainsi, de « vendre » la marque et donc la force de son audience, la qualité de son lectorat ainsi que son exclusivité, sur tous les supports possibles.
Concernant l’audience, l’image d’un média doit être pensée de façon à créer une communauté autour d’un cadre (3) partagé ou d’un imaginaire. Cet imaginaire doit ainsi de faire appel à une articulation d’éléments attribuables et mémorisables, fondamentaux à la mesure de l’audience, notamment en radio qui se fondent sur du déclaratif, lié au souvenir. Par exemple, les stations radios ont recours à des jingles (4), des tons, des rythmes, des voix particulières mais aussi à des « têtes » – des journalistes et animateurs vedettes – reconnaissables et donc « attribuables » à un média en particulier. Ces derniers permettent d’instaurer un cadre énonciatif explicite, qui diffère selon les lignes éditoriales des chaînes, qui les distingue entre elles, qui facilite donc l’attribution.
MISE EN SITUATION : LE CAS DE « MOUV’ »
Les changements successifs de stratégies éditoriales qu’a connus Mouv’ (l’une des 7 stations de Radio France), en raison des difficultés rencontrées par la chaîne au cours de son développement, en font un cas exemplaire pour identifier et comprendre les enjeux marketing liés à l’attribution.
Dans le rapport annuel publié en octobre 2013, le CSA considérait « Le Mouv’ » comme une radio « généraliste à dominante musicale » et estimait que le changement fréquent de ligne éditoriale nuisait à son audience (5). Le CSA préconisait que Radio France stabilise une ligne éditoriale afin de permettre à la radio de gagner des parts de marché et d’atténuer les doutes des annonceurs à son sujet.
RETOUR SUR LES CHANGEMENTS SUCCESSIFS DE LIGNES ÉDITORIALES (1997-2015)
À peine deux ans après sa création, la station Mouv’ changeait de stratégie en 1999 en passant d’une programmation musicale éclectique à une programmation rock, censée pouvoir séduire une audience jeune. Ce changement s’accompagnait d’un changement de logo. En 2004, la radio comptait 700 000 auditeurs, son record reste historique. C’est à cette période que Mouv’ arbore les codes identitaires de Radio France (carrés superposés noirs et orangés, pictogramme historique du groupe). Ce logo, après une nouvelle modification en 2008, a perduré jusqu’en 2015.
Les changements d’identité visuelle traduisent des transformations éditoriales. « Le Mouv’ n’est plus une radio musicale mais à dominante musicale », explique par exemple Hervé Riesen, son nouveau directeur en 2009. Destiné à l’origine au 15-24 ans, la radio publique va désormais viser une tranche d’âge située entre 18 et 34 ans tout en réduisant la part de la programmation musicale. La nouvelle grille 2009/2010 intègre davantage d’émissions d’actualité et de débat. Ce choix a des répercussions durables sur l’image de la chaîne qui assiste à une chute drastique de son audience en 2012 avec 215 000 auditeurs, chaîne devenue selon un rapport de la Cour des comptes publié en avril 2015 le « France Inter des jeunes » (6).
DES NOUVEAUX LEVIERS D’ATTRIBUTION DÉVELOPPÉS DEPUIS 2015
L’année 2015 marque le début d’une nouvelle stratégie, initiée par Bruno Laforestrie. Elle se caractérise par un repositionnement éditorial centré sur le hip/hop et la musique urbaine. Cette stratégie s’accompagne d’une redéfinition de l’identité de la chaîne. « Le Mouv’ » devient « Mouv’ » avec un nouveau logo en noir et blanc qui s’émancipe de la majorité des codes identitaires du groupe Radio France, excepté le pictogramme placé au centre de la lettre O du logo. Un nouvel habillage antenne en référence à la culture urbaine, un ton plus léger ainsi qu’un rythme plus soutenu sont censés attribuer à la chaîne des codes plus jeunes à l’image du slogan en anglais : « Mouv’on it ».