Depuis le déploiement des réseaux sociaux, les entreprises tentent de nouvelles stratégies de communication en renforçant la proximité avec leurs publics. Les marques « prennent visages » pour être identifiables au sein de marchés saturés par l’offre de nouveaux produits. C’est l’enjeu du branding ; et c’est aussi sa difficulté aujourd’hui : comment les médias peuvent-ils obéir à l’injonction du branding pour conquérir et fidéliser une audience… sans oublier de se concentrer sur leurs productions, autrement dit leurs contenus ?
Le branding est un terme marketing (de l’américain marketing, commercialisation, issu de market, marché) qui désigne une stratégie permettant à une marque d’affirmer et de positionner son identité au sein d’un marché, pour façonner son image de marque et la gérer sur le long terme.
ÉTABLIR UN LIEN FORT AVEC LE PUBLIC
Le branding permet au produit ou au service de laisser une empreinte visuelle et d’établir un lien émotionnel et durable avec le public. « L’opportunité de laisser une trace dans les esprits », comme l’expliquait Steve Jobs, peut naître concrètement grâce à une série d’actions visant à cultiver l’image de la marque. Par exemple, lorsque France 2 décide de fêter son anniversaire en programmant une émission qui revient sur l’ancienneté de la chaîne et le fait qu’elle accompagne la vie du pays depuis Antenne 2 et les années 1960, il s’agit d’un storytelling 1 efficace qui contribue à façonner l’univers de la chaîne et qui permet d’entretenir une relation nostalgique avec ses téléspectateurs. Le branding articule et décline les composantes de l’identité d’un média. Au même titre qu’un logo ou que le récit publicitaire que l’on déploie, le jingle est ainsi un élément constitutif d’un univers de marque. Si le storytelling est souvent utilisé pour façonner une image de marque et conquérir de nouveaux clients, le jingle apparaît comme un outil de fidélisation qui permet à une radio, comme RTL par exemple, de rappeler à ses auditeurs son identité.
SE POSITIONNER SUR UN MARCHÉ
Le branding est un processus essentiel qui participe à l’image de la marque (son positionnement, son identité, sa réputation ). Il vaut donc mieux le contrôler plutôt que de se le voir attribuer par le public ou la concurrence. Le marketing est un ensemble de procédés qui permettent de gagner des leads (verbe amédicain « guider », to lead), c’est-à-dire des points de contact avec le consommateur et de les monétiser. Le branding correspond au travail de recherche préalable afin de façonner une notoriété dans un objectif de conquête, et de la pérenniser dans un objectif de fidélisation. Georges Lewi définit le branding comme le marketing de la marque, autrement dit l’étude de son positionnement au sein d’un segment de marché déterminé.
Dans un contexte au sein duquel les médias prennent conscience de l’importance de conquérir et de rassembler une audience, les stratégies de branding permettent de façonner un univers de marque. Comment inspirer la préférence des utilisateurs au sein d’un marché de plus en plus saturé par la publicité et l’information ? Pour le branding, il ne s’agit pas de créer de nouveaux contenus, mais de miser sur la valeur d’un imaginaire associé à un média. Comme l’indique Pascal Beria dans La révolution des contenus publié en 2013, les médias tendent à devenir des marques et de fait à se positionner au sein d’un marché de consommateurs. Se brander c’est donc aussi se questionner sur ce qui fait la particularité de son média et éviter sa confusion avec un autre. C’est la raison pour laquelle il faut souvent procéder à un branding continu, nécessitant parfois une forme de « matraquage publicitaire » ce qui peut discréditer un média en conséquence jugé trop commercial par son public.
MISE EN SITUATION
La revue Papiers de France Culture illustre le phénomène du branding. En février 2012, la première revue de radio écrite est lancée par Radio France, pour « illustrer l’esprit d’ouverture » en reprenant les « grands moments issus de l’antenne ». Cette revue permet surtout, dans le cadre d’une stratégie de branding, de prolonger la ligne éditoriale de la radio, en dépassant le support audio grâce à un support de presse imprimée.
Le titre de la revue, « Papiers », insiste sur l’exclusivité de ce format inédit pour une radio, positionnant France Culture comme un média innovant et dont le contenu, principalement à caractère journalistique et universitaire, a la prétention de s’inscrire durablement dans un support matériel inspiré du livre.
Cette parution vise un certain prestige tout en cherchant à renforcer la communauté d’auditeurs qui peuvent profiter de contenus inédits et d’articles de presse étrangère. Le prix élevé de la revue (15 euros 90 centimes) permet de positionner le produit comme un contenu de qualité, à contre-courant de la vague « info-minute » et du sensationnalisme. Ce prix, un repère nécessairement important pour l’acheteur, prolonge l’image de marque de France-Culture : une radio s’adressant à un public exigeant, doté de curiosité intellectuelle, qui privilégie l’écoute de longs formats. Le prix permet donc de refléter l’image de la marque, dans ce cas une image sérieuse, proposant à ses lecteurs un « juste prix » en échange d’un contenu favorisant l’analyse et la recherche universitaire. Cette stratégie transmédiatique permet de fidéliser l’audience autour de 4 numéros par an. Cette relative rareté de la revue renforce ainsi l’idée de prestige associée à la marque, la met à distance du flux de l’actualité médiatique et met en lumière l’intemporalité de ses contenus, par exemple avec la publication de ses archives. Cette revue pourrait également permettre la conquête d’un nouveau marché, celui des lecteurs de revues scientifiques, ou bien des lecteurs d’une presse qui favorise l’investigation et l’analyse.
Ce type de diversification s’inscrit dans un contexte particulier : celui de la crise de la presse, mise en difficulté par la gratuité du web. Payer le juste prix en achetant cette revue devient dans ce cadre un geste citoyen permettant de sauver un média « en crise ». Investir dans la presse imprimée constitue aussi un élément de branding.
Le branding décuple l’identité d’une marque en tenant compte de tous les critères de sélection pour un consommateur : le prix, l’attachement, la mémorisation, l’attention, et les usages. Pour France Culture, la parution de Papiers permet de renforcer son prestige et sa crédibilité auprès des auditeurs mais aussi d’engager une réflexion sur l’avenir du média radio et des médias en général : il s’agit de proposer au lecteur un achat qui le positionne lui-même dans une culture à contre-courant des mass-médias.